New DelhiDans l’Inde de Modi, les vidéos islamophobes prolifèrent sur le Net
Les auteurs de clips lucratifs anti-musulmans en Inde les définissent comme des «divertissements» qui visent à sensibiliser les gens.
Les acteurs jouent mal, les scénarios sonnent faux mais les vidéos véhiculant des messages anti-musulmans font des millions d’adeptes en Inde, où le nationalisme hindou s’est amplifié depuis l’arrivée au pouvoir de Narendra Modi. L’une de ces vidéos, vue plus de cinq millions de fois sur Facebook, prétend montrer un musulman en train de mélanger un produit WC à de la nourriture vendue dans la rue. Sur une autre, visionnée plus de 3,5 millions de fois sur YouTube, c’est un vendeur de fruits – métier exercé par de nombreux musulmans en Inde – qui escroque des clients. «Avant d’acheter quoi que ce soit à des jihadistes musulmans, regardez cette vidéo», peut-on lire dans la légende.
Interrogés sur l’impact de tels clips, leurs auteurs répondent que ce ne sont que des «divertissements», dont le but est aussi lucratif. Narendra Verma, 28 ans, créateur de la scène du liquide WC, totalise 55’000 fans sur Facebook et gère une chaîne YouTube à succès. Élégamment vêtu, le jeune homme explique à l’AFP que ses vidéos peuvent rapporter à son équipe de six personnes jusqu’à 250’000 roupies par mois (environ 2700 francs). Et il assure qu’elles visent à «sensibiliser les gens afin qu’ils puissent éviter que de tels incidents ne se produisent réellement».
Raju Bharti, dont la chaîne YouTube compte 2,9 millions d’abonnés et qui a mis en ligne la vidéo du «vendeur de fruits musulman», rejette lui aussi toute accusation d’incitation à la haine. «Nous réalisons des vidéos sur la fraude numérique, les enlèvements d’enfants et la manière dont les commerçants ou les marchands ambulants escroquent les gens ordinaires», déclare-t-il à l’AFP.
«Frères hindous, réveillez-vous»
Selon des experts, ces vidéos discriminantes sont pourtant largement diffusées pour renforcer les stéréotypes négatifs et les théories complotistes concernant les 210 millions de musulmans que compte le pays le plus peuplé du monde. L’une d’elles, visionnée 1,2 million de fois, montre un homme dissimulé sous une burqa être pourchassé alors qu’il porte un enfant supposément «volé». «La burqa cache des activités terroristes. La burqa encourage la criminalité et devrait être interdite en Inde», clame la légende.
Ces vidéos sont souvent utilisées dans le cadre de campagnes de boycott des musulmans ou lorsque les tensions communautaires s’intensifient. «Frères et sœurs hindous, réveillez-vous maintenant ou jamais, le boycott économique est la seule option pour ces jihadistes», écrit un internaute en réagissant au clip sur le liquide WC.
Depuis l’élection du Premier ministre indien Narendra Modi en 2014, les groupes considérant l’Inde comme une nation avant tout hindoue et sa minorité musulmane comme des étrangers potentiellement dangereux se sont enhardis. Ses opposants ne cessent de l’accuser d’avoir attisé la haine. Certains créateurs de contenus ont retiré leurs vidéos après que l’AFP et d’autres organismes ont démontré qu’elles véhiculaient de fausses informations. Partenaire de Facebook, l’AFP dispose de journalistes qui, à travers le monde et notamment en Inde, luttent contre la désinformation.
Un «divertissement»
Certains producteurs contournent les règles en postant des messages de «démenti» qui disparaissent rapidement et indiquent que leur contenu n’est qu’une mise en scène. Cela permet à ces vidéos d’être classées dans la catégorie «divertissement», explique à l’AFP Paranjoy Guha Thakurta, journaliste et cinéaste qui traque la désinformation et les discours de haine. «C’est là que réside la véritable faille. Une vidéo contenant une information erronée peut continuer à être diffusée simplement par l’ajout d’un message d’avertissement», explique-t-il. Les vidéos retirées peuvent ainsi souvent réapparaître.
Meta dit enquêter
Interrogée sur ces vidéos, Meta, maison mère de Facebook, a déclaré enquêter. «Nous n’autorisons pas les discours haineux sur notre plateforme et nous les supprimons dès que nous les trouvons ou que nous en sommes informés», a déclaré le groupe dans un communiqué. YouTube, Twitter et le gouvernement indien n’ont pas souhaité faire de commentaires.
Selon M. Thakurta, de nombreux Indiens partagent des vidéos confirmant leurs préjugés sans en vérifier la véracité. «La sensibilisation aux médias sociaux doit faire partie de notre programme d’enseignement», insiste-t-il. Le journaliste précise que même si des lois visant à réglementer les réseaux sociaux existent, elles sont peu appliquées dans un pays de 1,4 milliard d’habitants et 600 millions de smartphones. «Ces plateformes sont utilisées ou détournées pour répandre l’islamophobie», conclut-il.