Judo«Je crachais du sang»: scandale sur les tatamis français
Ancien champion d’Europe et médaillé de bronze mondial, l’ex-judoka Patrick Roux dénonce dans un livre les violences physiques et psychologiques qui ont eu cours sur les tatamis.
«Le haut niveau français ne peut plus avoir un revers qui soit la maltraitance d’enfants et d’adolescents. Il faut absolument qu’on s’émancipe de nos croyances et qu’on sorte de ça», déclare Patrick Roux à l’AFP. En d’autres termes, il appelle le judo français à remettre en cause ses méthodes d’entraînement.
Dans «Le revers de nos médailles» qui sort mercredi (éd.Dunod), cet ancien cadre de la Fédération française publie des témoignages de judokas décrivant les humiliations, insultes ou châtiments corporels qu’ils ont subis lors de leurs passages dans des pôles Espoirs, les structures de préformation destinées à mener les jeunes vers le haut niveau.
«Il y a des signalements (qu’on peut qualifier) de maltraitance mais quand j’en parle avec des spécialistes, ils parlent de violences sur mineurs», affirme l’ex-judoka de 60 ans, qui a travaillé comme entraîneur en France, en Grande-Bretagne et en Russie.
Son livre, il l’envisage comme un «miroir tendu» vers les fédérations, pour qu’elles fassent «une analyse» de leurs pratiques «et se posent la question: ‘’Pourquoi en vient-on à ces violences?’’», explique-t-il.
«Torturée au sol»
Parmi les témoignages, celui de Mélanie, athlète au Pôle France Marseille de 2003 à 2006, qui raconte à propos de son entraîneur: «Il nous écrasait, enfonçait ses doigts dans nos côtes, nous insultait... À cause d’étranglements répétés (ndlr:une technique autorisée en judo), nous tombions dans les pommes. À peine nous reprenions connaissance, il recommençait.»
Ou encore A., 17 ans, qui, en gage de punition, raconte avoir été «torturée au sol» lors d’un stage à Aix-en-Provence en 2001 ou 2002. «Je crachais du sang, j’avais des lésions à l’intérieur de la gorge. Malgré les cris, les coups, la perte de connaissance, W. a continué. Je ne suis pas la seule à avoir subi ça.»
Des pratiques en contradiction totale avec le «code moral» régulièrement promu par le judo qui met en valeur entre autres le respect d’autrui et le contrôle de soi, regrette Patrick Roux, champion d’Europe en -60 kg en 1987.
«Dans le judo, notre culture, c’est: ‘‘Il faut être un dur au mal, il faut accepter de s’en prendre des tonnes, surtout ne pas se plaindre’’. C’est de là que vient cette situation», poursuit-il.
Selon lui, ces pratiques sont l’héritage d’«une règle tacite, non écrite» selon laquelle les entraînements brutaux font partie de la voie du succès et «qui a tenu lieu de feuille de route à des générations d’entraîneurs, jusqu’à l'excès».
Pourtant, «quand vous regardez de près les gens qui ont réussi de grandes carrières dans le judo, à 90%, aucun de ces grands champions n’a subi ce dont nous parlons, donc c’est paradoxal.»
«Garde-fou»
S’il reconnaît «une prise de conscience» parmi les dirigeants du sport français, celle-ci est insuffisante, estime-t-il. «On voit bien les efforts du ministère, mais ça patine. Les comités d’éthique, les chartes sur les valeurs... Je crains que ça ne change pas beaucoup la situation.»
Pour en finir avec ces violences, il estime que le haut niveau français doit surtout remettre en question la «posture» de l’entraîneur. «Avant tout, un entraîneur doit être un bon pédagogue» et non «un sergent-chef.»
«Est-ce que la clé pour qu’un athlète devienne champion olympique, c’est de lui mettre une surpression, d’être dans une posture dominante, ou est-ce plutôt être dans une posture d’écoute? Je vois un lien entre la posture de l’entraîneur, la manière dont il travaille avec les outils de la modernité, les outils d’accompagnement scientifique de la performance, et le respect de l’athlète», ajoute-t-il.
«Je pense que si on fait ça, on arrivera à améliorer la lutte contre les violences dans le sport. On ne réglera pas tout évidemment, mais à mon avis c’est une forme de garde-fou très efficace», conclut Patrick Roux, qui a fondé en 2020 l’association «Artémis sport» destinée aux victimes de violences dans le sport et aux lanceurs d’alerte.