Frontière franco-italienneChassé-croisé entre migrants et police
Dans les Alpes françaises, la Police des frontières a intensifié ses patrouilles. Ici, entre dix et vingt migrants tentent la traversée chaque jour. Les associations alertent sur leurs conditions.
«Ils nous ont vus, ils font demi-tour». Jumelles rivées aux yeux, des policiers postés sur les hauteurs enneigées de Montgenèvre (Hautes-Alpes, FR) guettent les migrants qui tentent de franchir la frontière de l’Italie.
Tandis que les élus, à Paris, s’écharpent autour du projet de loi immigration, infligeant lundi une très lourde défaite au gouvernement, la Police aux Frontières (PAF) mène jour et nuit dans les Alpes des contrôles qui s’apparentent, de l’avis d’un de ses agents, à un incessant «jeu du chat et de la souris».
De leur point d’observation en aplomb du village italien de Clavières, à plus de 1800 mètres d’altitude, deux policiers ont, en ce jour de décembre, compté une quinzaine de candidats au passage en France. Tout juste descendus de l’autocar en provenance d’Oulx, les migrants les observent à leur tour puis scrutent la montagne autour d’eux, hésitant visiblement quant à la direction à prendre. La radio des policiers crachote des ordres. Des renforts se déploient rapidement pour tenter d’intercepter les étrangers, ici ou bien plus haut dans les sommets alentours, noyés dans le brouillard et dont certains culminent à plus de 3000 mètres.
«Ça va durer plusieurs heures. Ils vont faire une pause au village et réfléchir» par où passer, note l’un des agents. Certains préfèreront attendre la nuit, se guidant tant bien que mal dans la montagne à l’aide de cartes et points GPS sur leurs téléphones. Les plus chanceux ont été équipés, dans un refuge à Oulx, de vêtements et de bottes pour marcher dans la neige.
«Militarisation de la frontière»
En ce début de saison froide, entre dix et vingt personnes tentent quotidiennement la traversée, bien moins que pendant l’été, marqué par l’arrivée de milliers de personnes sur l’île italienne de Lampedusa, relate Jean-Marc Demontoy, directeur départemental adjoint de la sécurité publique des Hautes-Alpes. Cet afflux estival avait conduit le gouvernement à renforcer les effectifs déployés à la frontière qui réunissent policiers, gendarmes, douaniers et militaires au sein d’une même «border force». De l’ordre d’une centaine à l’heure actuelle, ils opèrent essentiellement en patrouilles pédestres, appuyées par des drones et des avions. «L’objectif, c’est d’assurer le contrôle à la frontière et de prendre en compte les personnes vulnérables qui s’y présentent», souligne le responsable.
Trois jeunes hommes sont décédés en entrant en France par ces voies, entre août et novembre 2023, déplorent pourtant les associations de défense des migrants qui dénoncent une «militarisation de la frontière». Pour elles, les contrôles renforcés poussent les migrants à prendre toujours plus de risques, sans atteindre leur but puisque, selon elles, «tous finissent par passer», quitte à s’y reprendre à quatre ou cinq fois.
«On ne met pas les gens en danger, au contraire on leur porte bien souvent secours», affirme le commandant Jérôme Boni, directeur de la PAF des Hautes-Alpes. »On fait un contrôle qui est légitime. La France a rétabli son contrôle aux frontières, suite aux actes terroristes de 2015», rappelle-t-il.
«Accueil digne»
Quelque 6000 personnes ont été interceptées cette année sur les cols des Hautes-Alpes, dont 4600 ont été remises aux autorités italiennes et environ 1200 mineurs confiés au conseil départemental, qui les prend en charge. La PAF a également arrêté 48 passeurs, un «signal important» selon le commandant Boni. L’objectif est «qu’il n’y ait plus ce passage par Montgenèvre», insiste-t-il.
Pour l’heure, beaucoup d’exilés se faufilent toujours entre les mailles du filet et poursuivent à pied jusqu’à Briançon, à une dizaine de kilomètres à vol d’oiseau. Certains sont recueillis en chemin ou aidés lors de maraudes nocturnes organisées par Médecins du Monde (MDM) et le collectif Tous Migrants. D’autres se présentent au refuge des Terrasses Solidaires, à Briançon. Cette ancienne maison de santé, d’une capacité de 81 personnes, ne compte actuellement que 51 occupants, permettant un «accueil digne», souligne Marie Marchello, administratrice de l’association Refuges solidaires qui cogère le refuge. Ce n’était pas le cas cet été, lorsqu’il a été contraint de fermer ses portes pendant deux mois en raison de l’afflux, dit-elle. Or, les autorités restent sourdes aux appels à ouvrir plus de places d’accueil. «La seule réponse a été l’augmentation de la répression à la frontière», déplore Isabelle Lorre, coordinatrice pour Médecins du Monde. «On est inquiet pour la suite».
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