Un an de guerre en UkraineÀ Kiev comme à Moscou, ils doivent apprendre à grandir avec le conflit
Entre résilience, repli sur soi ou action, les jeunes Russes et Ukrainiens tentent de passer à l’âge adulte dans un contexte de guerre. Portraits croisés des deux côtés de la frontière.
Depuis un an, la guerre a bouleversé leur existence et suspendu leurs projets. Mais Marko et Nikol, de jeunes Ukrainiens, entendent bien continuer à vivre malgré la solitude, l’éloignement ou la douleur. À des milliers de kilomètres, d’autres jeunes, Russes, eux, tentent aussi de donner un sens à leur quotidien, déchirés entre deux sentiments, s’engager ou démissionner.
Marko, jeune étudiant en informatique, qui fêtera ses 18 ans dans deux mois, avait quitté Kiev le 14 février 2022, pour aller à Lviv, dans l’ouest. Il est retourné dans la capitale ukrainienne fin juin, où il vit seul, après avoir passé plusieurs semaines en Pologne, en Angleterre et en Espagne, chez des proches ou des amis. Sa mère est installée aux Pays-Bas, son père vit entre Lviv et Kiev.
«Mes amis n’étant plus là – ils étaient en Europe, très peu sont revenus –, je me suis senti totalement isolé dans ma ville», relate-t-il. Depuis, il s’est refait un cercle d’amis pour sa première année à l’université, mais il a dû à partir d’octobre subir les frappes russes sur les infrastructures énergétiques de la capitale, qui provoquent des coupures de courant quotidiennes, et vivre avec le stress qu’elles induisent.
«On apprécie juste ce qu’il nous reste»
Nikol, 22 ans, «rêve», elle, de retourner chez elle à Marioupol (sud), cité portuaire tombée aux mains des Russes. Diplômée en relations internationales et sans emploi, elle vit avec sa sœur à Kiev. Sa mère est décédée. «Je peux être triste, mais quand votre vie est en danger et que vous auriez pu mourir mille fois mais que cela n’est pas arrivé, on apprécie juste ce qu’il nous reste», ajoute-t-elle.
Marko se dit aussi «très heureux d’être en vie», même si «c’est stressant, un stress constant, en partie à cause de la guerre, en partie parce que c’est difficile de passer à la vie d’adulte dans ces conditions». «Je suis assez loin de la ligne de front, je vis ici dans un confort relatif, je n’ai pas à prendre un fusil chaque matin pour défendre le pays», dit-il.
Tenter de changer les choses à son échelle
De l’autre côté de la frontière, par dizaines de milliers, des Russes, souvent jeunes et éduqués, ont choisi l’exil de peur d’être mobilisés sur le front, ou d’être happés par la machine répressive dans leur pays où critiquer l’armée est maintenant passible de prison ferme.
Selon la sociologue Elena Omeltchenko, spécialiste de la jeunesse, de nombreux jeunes, parmi ceux qui sont restés, tentent de mettre en place des projets à petite échelle, là «où ils peuvent encore changer les choses», comme la collecte des dons pour des réfugiés, la création de microbibliothèques ou l’organisation d’activités culturelles.
Émigrés intérieurs
La jeunesse urbaine et éduquée est souvent en décalage avec la ligne portée par le Kremlin. «Leur horizon ne dépasse pas quelques mois. La demande d’antidépresseurs a grimpé chez eux de 50% en un an», affirme l’experte. Ces jeunes en désaccord ne sont pas pour autant majoritaires, selon un sondage de l’institut indépendant Levada: seulement 30% des 18-24 ans sont contre «l’action des forces armées russes en Ukraine».
Nombre de jeunes font dans ce contexte un choix à l’opposé de l’engagement: le repli sur soi, un phénomène rappelant le concept d’«émigration intérieure» de leurs aînés soviétiques, sorte de démission d’une société avec laquelle ils sont en désaccord. Polina Savina, 21 ans, vit «dans une autre dimension que (son) pays», «avec (ses) livres et (ses) réflexions sur l’art», raconte la jeune femme. Elle a ainsi «créé (sa) propre zone de sécurité pour survivre».