SoudanTrois manifestants anti-putsch tués par les forces de sécurité
Au total, douze protestataires sont morts depuis que le général Abdel Fattah al-Burhane a annoncé lundi dissoudre l’ensemble des institutions du pays.
Trois manifestants ont été tués samedi au Soudan, où des dizaines de milliers de personnes ont défilé pour protester contre le coup d’État du général Abdel Fattah al-Burhane et réclamer la remise sur les rails de la transition démocratique malgré la répression. Ces nouveaux décès portent à douze le nombre de personnes tuées depuis le début des manifestations lundi contre la décision le même jour du chef de l’armée de dissoudre l’ensemble des institutions de ce pays pauvre plongé dans le marasme économique et miné par des décennies de conflits.
L’ONU et Washington avaient multiplié les mises en garde contre l’utilisation de la violence, estimant que les manifestations seraient un «test sur les intentions des militaires». Dans la capitale Khartoum comme à Kessala dans l’Est, les cortèges, au milieu de pneus brûlés, ont scandé «Non au régime militaire» et «Pas de retour en arrière possible», dans un pays sorti en 2019 de 30 années de dictature d’Omar el-Béchir, écarté par l’armée sous la pression de la rue.
À Omdourman, ville jumelle de Khartoum, trois manifestants ont été touchés mortellement par balles, et une centaine blessés par les forces de sécurité, selon un syndicat des médecins prodémocratie. Outre les 12 morts, plus de 300 personnes ont été blessées dans la répression, selon la même source.
D’autres manifestants ont brandi des portraits du Premier ministre déchu et assigné à résidence Abdallah Hamdok, appelant à «ne pas renoncer». Et plusieurs centaines de manifestants ont bloqué un axe à Port-Soudan sur la mer Rouge, poumon commercial du pays. «Nous voulons un régime civil et nous n’accepterons pas cette fois le partage avec les militaires, il faut qu’il soit 100% civil», a affirmé à l’AFP Hachem al-Tayeb, un manifestant à Khartoum.
«Prétexte»
Dirigés quasiment sans interruption depuis 65 ans par des militaires, les Soudanais sont déterminés à tenir tête aux putschistes. Depuis août 2019, le Soudan était dirigé par des autorités militaro-civiles chargées de mener la transition vers un pouvoir entièrement civil, après le renversement en avril de la même année d’Omar el-Béchir, au prix de six mois de mobilisation et plus de 250 morts dans la répression. Lui-même général, Omar el-Béchir était arrivé au pouvoir par un putsch.
Après plus de deux ans d’une transition grevée par une économie en lambeaux et des divisions politiques, l’entente entre l’armée et les civils a volé en éclats ces dernières semaines, culminant avec l’arrestation lundi de la plupart des dirigeants civils par les soldats.
Cette semaine, les États-Unis comme la Banque mondiale, exigeant le rétablissement et la libération du gouvernement civil, ont suspendu leur aide financière à Khartoum, vitale pour le pays asphyxié par une inflation galopante et une pauvreté endémique. L’Union africaine a, elle, suspendu Khartoum et le Conseil de sécurité de l’ONU a exigé le retour des civils.
Depuis le coup d’État, les Soudanais sont entrés en «désobéissance civile», juchés sur des barricades, face aux balles réelles, en caoutchouc et aux grenades lacrymogènes des forces de sécurité. Samedi, tous redoutaient des affrontements meurtriers, alors que Jibril Ibrahim, ministre des Finances ayant soutenu un sit-in pro-armée avant le coup d’État, a prévenu: «détruire des biens publics n’est pas une manifestation pacifique».
«Les putschistes essayent de trouver un prétexte à un déchaînement de violence», a aussitôt accusé le porte-parole du gouvernement renversé. La télévision d’État, prise d’assaut par l’armée au premier jour du coup d’État, a diffusé des témoignages de soldats portant des pansements à la tête et se disant victimes de violences des manifestants.
«Burhane, quitte le pouvoir!»
Pour Amnesty International, «les dirigeants militaires ne doivent pas s’y tromper: le monde les regarde et ne tolérera pas plus de sang». L’émissaire britannique Robert Fairweather a par avance exhorté les forces de sécurité soudanaises à «respecter la liberté et le droit d’expression», tandis que le chef de l’ONU Antonio Guterres a enjoint «les militaires à ne pas faire davantage de victimes». Le putsch a coupé court aux espoirs d’élections libres fin 2023 et plongé le pays dans l’inconnu.
Avant le coup d’État, des dizaines de milliers de Soudanais avaient défilé au cri de «Burhane, quitte le pouvoir!» Une protestation qui a probablement précipité le cours des événements, le général Burhane, désormais seul aux manettes, prétextant avoir agi pour empêcher «une guerre civile».
Mais aujourd’hui, affirment des experts, forts de l’expérience de 2019, les manifestants sont mieux organisés. «Les militaires ne nous dirigeront pas», a affirmé à l’AFP la militante Tahani Abbas. Et la manifestation monstre de samedi annoncée sur les réseaux sociaux et par des graffitis sur les murs à Khartoum- où les autorités ont coupé l’internet et le réseau téléphonique- n’est qu’un «premier pas».