Hockey sur glaceLa galère, ils l’ont connue avant les Ajoulots
Le HC Ajoie est officiellement devenu la troisième équipe de l’histoire à concéder 15 défaites consécutives dans l’élite. D’autres, avant les Jurassiens, ont connu telle misère. Deux d’entre eux se souviennent.
- par
- Julien Boegli
Ainsi donc, Ajoie a égalé le record partagé jusqu’alors par le Lausanne HC de la saison 1995/96 et le HC La Chaux-de-Fonds version 2000/01. Frustrant, diront certains, eu égard au gros morceau de bravoure livré aussi bien vendredi contre Zoug (3-6) que dimanche à Lausanne (5-4). Prévisible avanceront d’autres, tant le jeu ajoulot se révèle être parfois – souvent même – vulnérable. La formation de Porrentruy pourrait même dépasser cette triste marque si elle ne s’impose pas ce soir lors de la venue de Rapperswil sur sa glace (19h45). Les railleurs alémaniques se gondoleront peut-être du fait qu’il n’y a que des clubs romands pour atteindre un tel cap.
Le HCA d’aujourd’hui possède certaines similarités avec les collectifs vaudois et neuchâtelois de l’époque. Composante commune: devoir endosser le statut de néo-promu avec un effectif insuffisamment garni en qualité et en quantité. Ajoie ne connaîtra cependant pas la relégation au terme de l’exercice, contrairement au LHC et au HCC d’alors. De quoi atténuer quelque peu sa peine.
Alors jeunes attaquants des deux équipes en question, Gerd Zenhäusern (49 ans) et Steve Pochon (43 ans) se souviennent encore de cette interminable traversée du désert. Ils racontent.
Lausanne HC, saison 1995/96
Début 1995, les Vaudois remportent haut la main le championnat de LNB, devançant leur plus proche concurrent Grasshoppers de 16 longueurs, et s’adjugent dans la foulée la finale des play-off (4 matches à 1) face à ces mêmes Zurichois. Le retour dans l’élite qui s’ensuit est cauchemardesque: 4 succès, 2 nuls et 30 défaites, dont 15 d’affilée entre le 14 novembre et le 21 janvier. Et une dernière place au classement, forcément.
De l’euphorie de la promotion au désastre qui suit, Gerd Zenhäusern, à 23 ans, vit en peu de temps un véritable ascenseur émotionnel. «Plus les défaites s’accumulent et plus il devient compliqué de rebondir. Personne ne s’imagine vivre cela en montant, même si on était bien conscients que cette saison-là serait difficile.»
Elle le fut, en effet. «Au départ, on est encore bercés par l’euphorie de la promotion. Elle nous porte quelque temps mais cette dynamique finit par s’estomper. Un peu comme Ajoie, on s’était lancés sans s’être véritablement renforcés. Même si l’ascension est un objectif, il n’est pas évident d’engager sur le tard des joueurs qui tiennent la route à ce niveau.»
«Moral atteint»
Pour le Haut-Valaisan, cette deuxième expérience dans l’élite ressemble à s’y méprendre à la première. Il quittera le HC Ajoie deux ans plus tôt sur une relégation en Ligue B! Le LHC n’y échappera pas non plus. Congédié le 16 décembre, l’entraîneur Jean Lussier est remplacé trois semaines plus tard par Doug McKay, l’Ontarien ayant été libéré peu de temps avant par Ajoie, qui lui préférera Hans Kossmann.
Mais rien n’y fait, pas même la présence en attaque des Américains Jimmy Carson et Bobby Reynolds et des Canadiens Claude Verret – l’homme de la promotion – ainsi que Martin Desjardins. «Le moral est inévitablement atteint dans ce genre de situation. Moi, j’étais jeune, je voulais juste faire mes preuves et ma place à ce niveau. J’y trouvais malgré tout une motivation personnelle. C’était certainement plus dur à encaisser pour des gars en fin de carrière et présents au club depuis un moment», admet l’actuel directeur sportif assistant de FR Gottéron.
Dans le barrage pour le maintien, Lausanne s’inclinera quatre manches à zéro contre Fribourg-Gottéron et terminera ensuite deuxième (sur trois) de la poule de promotion/relégation derrière La Chaux-de-Fonds. La défaite enregistrée le 23 mars 1996 aux Mélèzes (9-4) est celle de trop. Gerd rebondira pour sa part au Zurich SC, l’ancêtre des ZSC Lions.
Son regard sur le HC Ajoie actuel
«La chance d’Ajoie est de pouvoir déjà planifier la saison à venir sans craindre pour sa place. A l’époque, la pression était importante et les changements intervenaient de partout. Le contexte est différent également. Les Jurassiens ont remporté récemment la Coupe de Suisse, ils bénéficient d’une nouvelle patinoire, il y a une dynamique positive et ils peuvent grandir avec cela. Bâtir une équipe performante dans cette ligue ne se fait cependant pas en une année.»
«Ce qu’ils vivent, on pouvait s’y attendre. Quand l’adversaire est meilleur que toi, tu peux t’accrocher tant que tu veux, si tu n’as pas la qualité, tu finis quand même par perdre. D’ailleurs, plus la saison avance, plus le niveau de jeu augmente et plus cela devient compliqué pour les petites équipes. Devant, tout le monde doit faire des points, cherche à assurer sa place en play-off ou en pré-play-off. C’est une bataille constante qui n’autorise pas de faux-pas contre Ajoie. Quant au fait que Gary Sheehan ait été maintenu à la bande, cela ne me surprend pas. Il a tant fait pour ce club, il y a un certain retour de confiance à son égard. Lui, comme tout le monde sans doute, était conscient de ce qui l’attendait. Je ne pense pas qu’un changement d’entraîneur en cours de saison aurait permis de résoudre le problème.»
HC La Chaux-de-Fonds, saison 2000/01
Comme le LHC cinq ans auparavant, La promotion du HC La Chaux-de-Fonds en LNA, la dernière en date, a tout d’un cadeau empoisonné. Le club se trouve dans une situation financière pour le moins délicate. Sa série de demi-finale de play-off remportée contre Genève-Servette en cinq manches est suffisante pour assurer la montée. Coire l’accompagnera, profitant de l’augmentation du nombre d’occupants en ligue A la saison suivante. A 22 ans, Steve Pochon vit, lors de ce troisième exercice aux Mélèzes, son unique expérience au sommet du hockey helvétique. «Si on avait eu une grosse équipe cette année-là, jamais je n’aurais été de l’aventure», reconnaît humblement l’actuel entraîneur du HC Saint-Imier (1ère ligue).
L’attaquant aux 16 saisons et près de 750 rencontres disputées en ligue nationale pose un regard lucide sur le contexte du début du siècle: «On n’avait rien à faire là. On n’avait ni la structure ni le contingent pour y jouer. On était presque plus faibles en ligue A que l’année précédente un échelon plus bas, c’est dire.»
« Pitch » évoque alors une campagne de transferts réduite au strict minimum: « On a eu Fabien Guignard (arrivé de Fribourg) et Thibault Monnet (de Lausanne) qui étaient nos deux top-transferts!» Larguées sur toute la ligne comme l’étaient précédemment les Vaudois, les « Abeilles » concluront leur pensum au dernier rang du classement à 14 longueurs de Coire (11e) et 27 d’Ambri (10e). Leur bilan: 4 succès, 4 parités et 36 revers.
«L’enfer»
C’est au soir du 9 décembre 2000 qu’elles parviennent enfin à mettre un terme à leur longue série noire. Le mal, déjà, est fait. «En début de concours, tu peux espérer remporter quelques matches. Tu débarques, tu es le petit, les autres te prennent un peu de haut», explique Steve Pochon. Comme souvent, le comité, dans l’urgence, appelle à l’aide et actionne le siège éjectable. Le Suédois Dan Hobér ne passe pas l’hiver. Le Français Mike Lussier lui succédera sur le banc. «On a connu également une sacrée valse de joueurs, notamment étrangers», poursuit Pochon.
L’histoire en retiendra quatre: en défense, le Canadien Mike DeAngelis et le Suédois Roger Öhman. En attaque, le Canadien Jeff Shevalier et le Suédois Stefan Nilsson. «Quand tu te retrouves continuellement à devoir partager le vestiaire avec des gars à l’essai, il finit par exploser. C’était l’enfer, les revers s’enchaînaient, l’ambiance était au plus bas. Tout partait en sucette.» Les Neuchâtelois disparaîtront de la LNA aussi vite qu’ils n’étaient venus, remplacés par le Lausanne HC de Riccardo Fuhrer. «La relégation nous pendait au nez dès le départ.»
Pochon partira ensuite un an à Porrentruy puis deux à Bienne, toujours en LNB, avant de revenir au HCC durant neuf saisons, soit jusqu’en 2013.
Son regard sur le HC Ajoie actuel
«Lorsqu’on observe le classement actuel, on comprend que les équipes ne peuvent plus se permettre de perdre des points contre un tel adversaire. Les positions sont extrêmement serrées. L’avantage d’Ajoie, c’est bien sûr le fait de ne pas risquer sa peau au final. L’inconvénient, ce sont ces deux barres au-dessous de la sixième place. Le HCA est dorénavant confronté à des équipes qui sont de grosses entreprises, la réalité est là. Loin de moi l’envie d’être trop sévère, il faut simplement être rationnel, car j’ai moi aussi été confronté à la même situation.»