FichageLa justice valaisanne veut bloquer les activistes du climat avec leur ADN
Deux militantes ont été convoquées lundi à Sion pour donner leur ADN. Le ministère public se justifie, alors que le Tribunal fédéral a déjà condamné ces pratiques «disproportionnées».
- par
- Eric Felley
C’est une étrange vidéo qu’a diffusée mardi surTwitter le mouvement Renovate Switzerland. On y voit durant quelques secondes une jeune femme faire l’objet d’un prélèvement d’ADN par un policier anonymisé. Cela se passait lundi au poste de police de Sion. Deux jeunes femmes avaient été convoquées. Le 20 juin dernier, elles avaient été arrêtées par la police lors d’une tentative du mouvement de bloquer le Pont du Rhône à Sion. Tentative qui n’avait duré que deux minutes.
Les deux militantes avaient seulement filmé l’opération depuis le trottoir, vêtues d’un gilet reconnaissable: «Act Now!» Comme les autres manifestants, elles ont été conduites au poste de police pour y subir «une fouille à nu» et y rester huit heures détenues. Avec les personnes assises sur la route, elles ont été accusées de «contrainte». Puis finalement convoquées pour donner leur ADN.
Cadre pacifique
Karuna, la jeune femme que l’on voit sur la vidéo, prend toutefois la chose avec philosophie: «Je suis traitée comme une criminelle, alors que je n’ai fait que couvrir une manifestation non-violente d’un mouvement qui veut juste préserver le bien commun. Face à l’urgence climatique, cela me fait peur mais me donne avant tout envie de m’engager plus encore. Comme cela, ils auront déjà mon ADN pour la prochaine fois».
Les deux militantes sont venues lundi avec trois autres personnes qui ont proposé volontairement de donner aussi leur ADN par solidarité et parce qu’elles sont «fières» de leurs actions. Renovate Switzerland dénonce une répression disproportionnée: «Prendre des photos ou enregistrer des vidéos dans un lieu public n’est pas une infraction, encore moins lorsqu’il s’agit de communiquer sur une manifestation pacifique».
Prise d’ADN justifiée
Dès lors quel est l’intérêt sécuritaire de prélever l’ADN de personnes qui ne se cachent pas et agissent ouvertement en public pour une cause politique? Le procureur général valaisan Nicolas Dubuis se justifie: «À la suite du blocage du Pont du Rhône, à Sion, et donc de la circulation, une instruction a été ouverte contre les 8 personnes qui ont été identifiées et interpellées pour entrave à la circulation publique et contrainte. L’instruction devra déterminer le rôle de chacun d’eux».
Pour lui les faits sont graves: «Ces infractions ne sont pas de peu d’importance dès lors qu’elles sont passibles d’une peine privative de liberté de trois ans au plus. La possibilité d’établir un profil d’ADN n’est pas limitée à l’élucidation du délit investigué. Il peut également être établi dans le but d’élucider des infractions passées qui n’ont pas été découvertes ou des infractions futures».
Contre l’avis du Tribunal fédéral
Toutefois, en juin 2021, le Tribunal fédéral a jugé que la collecte d’ADN dans un tel contexte n’était pas défendable. Il avait donné raison à trois militants du climat à qui on avait pris leur ADN lors d’une manifestation à Bâle en 2019. Ils étaient soupçonnés également de contrainte, mais aussi d’émeute, violation de domicile, dommage à la propriété et entrave à l’action de la police. D’une part, le TF estime que les personnes étaient clairement identifiables sans avoir recours à leur ADN. D’autre part, il doute que les infractions reprochées aux militants présentent un degré de gravité qui justifie cette méthode d’identification, notamment pour élucider des infractions passées ou à venir.
Enfin, le TF dit que ces mesures d’identification sont «disproportionnées» par rapport à la liberté d’expression et de réunion. Plus clairement: «L’enregistrement systématique de personnes actives politiquement, qui font usage de leurs droits fondamentaux, n’est pas raisonnable par rapport aux objectifs poursuivis par la création de profils ADN ou la saisie de données d’identification».