Les colts du Western spaghetti dégainent en musique

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Bang bang!Les colts du Western spaghetti dégainent en musique

L’orchestre Bande-Son donne un concert sur les grandes musiques du Western spaghetti à Crissier et Genève. Rencontre avec son chef d’orchestre, Thierry Besançon.

Christophe Pinol
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Christophe Pinol

Depuis près de 10 ans, il enchante les fans de musique de film avec un grand concert donné chaque année en Suisse romande, avec l’orchestre symphonique Bande-Son. Lui, c’est Thierry Besançon, compositeur, chef d’orchestre et surtout immense amateur de bandes originales. Après avoir exploré les thrillers jazzy, les films de monstres ou de science-fiction, ce Morgien de 44 ans s’attaque cette année aux Westerns spaghetti, qui eut son heure de gloire à partir du milieu des années 60, avec près de 500 films tournés en 15 ans.

Au programme de cette saison 2023? De poignantes envolées lyriques, des solos de trompettes endiablés, des violons enivrants, mais aussi du banjo, de l’harmonica… On y entendra beaucoup d’Ennio Morricone, forcément, notamment avec la fameuse «trilogie des dollars», ou encore «Il était une fois dans l’Ouest», mais aussi du Luis Bacalov, avec les mythiques «Django» et «El Chuncho», ainsi que d’autres pelloches peut-être pas aussi connues mais aux sonorités non moins magiques. Citons «100’000 dollars pour Ringo» (Bruno Nicolai), «Et le vent apporta la violence» (Carlo Savina) ou encore «Arizona Colt» (Francesco De Masi).

Avant les concerts de Crissier (à la salle de Chisaz), les 24, 25 et 26 mars, et de Genève (au Victoria Hall), le 2 avril, le chef d’orchestre nous donne un aperçu de son travail.

D’où vient votre amour pour la musique de film

Le déclic, ça a été le score de Danny Elfman pour le «Batman» de Tim Burton. J’étais ado, j’avais commencé à apprendre la musique depuis tout petit et j’en avais eu marre. Je voulais devenir chauffeur de train et j’avais arrêté… Mais quand j’ai entendu les notes de «Batman», je me suis dit: «Waouh… Voilà pourquoi je veux être musicien!» A la maison, j’ai aussitôt demandé à mon père de m’apprendre à composer et l’intérêt pour les bandes originales ne m’a jamais quitté. Ou devrais-je plutôt dire, l’intérêt pour la musique descriptive: de la musique qui décrit des situations, ce qui inclut aussi la musique post-romantique. Mozart ne me parle par exemple pas beaucoup. Par contre, Wagner, oui! À travers son travail, on voit tout de suite les images et les situations. C’est cet aspect qui m’avait manqué durant mon adolescence.

Quels sont les compositeurs qui vous attirent particulièrement?

Je reste un grand admirateur du travail d’Elliot Goldenthal, d’Elmer Bernstein ou de John Williams… Mais je dois reconnaître que la musique de film a évolué dans une direction qui m’intéresse moins. On a aujourd’hui de plus en plus affaire à des atmosphères, de longues plages d’ambiance avec trop d’électronique à mon goût. C’est souvent très efficace dans le film mais ça a nettement moins d’intérêt à l’écoute sans les images. Un ami avait une théorie intéressante: il disait qu’avant, les effets spéciaux étant encore limités, la musique devait exprimer tout ce qu’ils ne pouvaient pas montrer. Alors qu’aujourd’hui, ils permettent de représenter tellement de choses que la musique doit s’effacer. Mais ce sont des courants, et je suis persuadé que les mélodies reviendront.

Pourquoi avoir choisi le Western spaghetti cette année, et comment avez-vous composé votre programme?

Il y a quelques années, j’étais par hasard tombé sur une compilation du genre et j’avais été frappé par la découverte de toute une palette d’instruments hétéroclites et des sonorités inédites… Je m’étais alors mis à écouter des centaines de B.O., pour finalement, des années plus tard, ne garder que 28 morceaux super cools. Ceux que l’on va jouer durant ce concert. Comme pour chaque thème, on commence par choisir quelques «tubes», que l’on panache avec d’autres titres moins connus. On va ainsi retrouver quelques incontournables d’Ennio Morricone mais on a aussi voulu mettre en avant des compositeurs qui sont parfois restés dans son ombre, parce qu’ils n’ont pas eu la chance de travailler sur des films aussi populaires que ceux de Sergio Leone. Des gens comme Luis Bacalov, Gianni Ferrio ou Carlo Savina…

Vous attachez une grande importance à rejouer les morceaux exactement comme on les entend dans les films, c’est bien ça?

Exact! Pour moi, il est hors de question de changer le moindre son. Et pour ça, il nous faut les partitions originales. Et elles ne sont pas toujours faciles à trouver. Là, j’ai notamment écrit à deux fils de compositeurs décédés, ceux de Bruno Nicolai et de Francesco De Masi, pour m’aider à retrouver celles dont j’avais besoin. Le premier ne m’a jamais répondu et le second était enchanté que je m’intéresse aux musiques de son papa, mais quand je lui ai ensuite annoncé qu’il me fallait tel morceau de telle œuvre, je n’ai plus eu de nouvelles. Je pense que ça leur demandait trop de travail. J’ai alors décidé de refaire ces partitions moi-même. J’ai tout repiqué d’oreille en faisant une dictée musicale, instrument par instrument, pour reconstituer l’ensemble. J’ai aussi lu beaucoup de livres sur ces compositeurs, ce qui m’a permis de comprendre leurs modes de pensées, comment ils fabriquaient leurs sons, avec quels instruments spéciaux…

Ces instruments seront tous sur scène?

Non, on ne pouvait pas tous les réunir. Pour certains, les sons ont été enregistrés en amont et seront déclenchés par des synthétiseurs. De toute façon, tout n’était pas possible d’être joué en live. Morricone trafiquait par exemple certains de ses sons en studio, notamment son ocarina bass qu’il enregistrait avant d’en baisser la tessiture en studio. Et on a fait pareil ici.

Combien de musiciens aurez-vous sur scène?

En comptant le cœur, on sera 120. Mais l’orchestre lui-même est plus petit que d’habitude. Je tenais à respecter les effectifs des orchestres de l’époque: les Italiens avaient moins d’argent que les Américains pour jouer leur musique et étaient donc moins nombreux. On n’a ici par exemple que 4 cors au lieu des 6 ou 8 quand on joue une grande partition symphonique hollywoodienne. Les bois sont par deux, et non par 4… Mais il y a par contre beaucoup de solistes: un chanteur pour les balades, une soprano, un joueur d’harmonica, un siffleur…

Votre soprano va être mise à rude épreuve avec les splendides vocalises du thème principal d’«Il était une fois dans l’Ouest» ou de «Ecstasy of Gold» du «Bon, la brute et le truand»…

Mais elle est fantastique, notre Sophie Graf! J’ai beaucoup écrit pour elle et on a souvent travaillé ensemble sur des récitals, où je peinais d’ailleurs à la suivre au piano. Elle avait également déjà interprété pour nous, il y a quelques années, l’opéra du «Cinquième élément», que chantait cette diva bleue extraterrestre dans le film de Luc Besson. Et elle était déjà magistrale.

Certains concerts de musique de film se jouent parfois devant un écran où sont projetées les images du film. Mais pas chez vous. Quelle différence y voyez-vous?

J’ai toujours tenu à jouer la musique sans les images, pour que le public soit concentré à 100% sur celle-ci et se rende vraiment compte de sa beauté, de son importance. Dès qu’on met un extrait de film, notre attention est automatiquement détournée. Et avec un orchestre comme le nôtre, prêt à toutes les audaces – ce qui n’est pas le cas de tous les orchestres –, c’est magique! Moi qui suis très énergique, les musiciens me suivent à 200% et cette émulation est géniale.

Réservations: Ticket Corner

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