ImmersionTout l’univers connu dans un casque de réalité virtuelle
L’EPFL a sorti un logiciel capable de nous faire découvrir le moindre recoin du cosmos, en temps réel, en 3D et à 360°. Une expérience vertigineuse.
- par
- Christophe Pinol
Vous avez toujours rêvé de vous balader en totale liberté dans l’espace, le vrai, celui qui nous entoure, et non une quelconque représentation fictive? Ça tombe bien, le laboratoire d’astrophysique de l’EPFL (LASTRO) a justement conçu un logiciel en ce sens: le VIRUP (pour Virtual Reality Universe Project). Une cartographie complète de l’univers – du moins de ce qu’on en connaît à ce jour –, en temps réel, accessible en 3D via un casque de réalité virtuelle. Une sorte de Google Earth à l’échelle du cosmos… On a sauté dedans à pieds joints et l’expérience est proprement vertigineuse.
Forcément, tout démarre dans l’espace. Nous sommes face à la Terre, à portée de main de la Station spatiale internationale… En baissant les yeux, on se voit flotter dans le vide et l’impression de vertige est saisissante. Autour de nous: des milliers de points lumineux… Autant d’étoiles, de planètes et de galaxies qui n’attendent que notre visite. Deux contrôleurs, un dans chaque main, sont là pour nous aider à naviguer dans cette immensité. Un peu comme sur Google Maps où l’on bouge la carte d’un doigt, tout en zoomant et dézoomant du pouce et de l’index, ici, un clic maintenu nous permet d’«agripper» le décor et de le déplacer à notre guise sur 3 axes – en haut et en bas, à droite et à gauche, le rapprocher ou l’éloigner de nous –, tandis que cliquer cette fois des deux mains tout en écartant ou joignant les bras permet de changer d’échelle pour ensuite avancer plus vite, plus loin. Ou encore s’approcher lentement d’un objet (la Lune, Mars, la sonde Voyager 2…), en faire le tour, (cette fois physiquement, dans notre salon, puisque grâce au casque VR l’objet en question est là, sous notre nez) pour l’examiner sous tous les angles…
Deux ou trois minutes à peine suffisent pour apprivoiser le système et très vite, en quelques mouvements, on se retrouve aux confins de l’espace, à admirer un gigantesque nuage de points lumineux: rien de moins que la structure complète de l’univers.
10 milliards d’informations en temps réel
Le projet rassemble pour l’instant les données de 8 banques spécialisées et a permis de modéliser pas moins de 50 millions de galaxies, les 4500 exoplanètes découvertes à ce jour, 3000 satellites en orbite autour de la Terre… «Au total, la version complète du logiciel comprend plus de 10 milliards de points affichés», précise l’astrophysicien Yves Revaz, à l’origine de cette innovation. L’application grand public mise à disposition gratuitement depuis le mois dernier sur le site de l’EPFL, en open source, en constitue toutefois une version allégée. Une sorte de best-of rassemblant néanmoins la bagatelle de 4 millions de galaxies. Et si la plupart ne sont représentées qu’en 2D, sous la forme d’une image à contempler si l’on s’en approche d’assez près, 140 d’entre elles (toutes celles du Groupe local, le groupe de galaxies auquel appartient la Voie lactée, Andromède, ou la Galaxie du Triangle) peuvent être intégralement visitées en 3D et à 360°. De quoi s’amuser un bon moment.
Pour avoir un aperçu de l’ampleur de la tâche réalisée par les chercheurs de l’EPFL, on vous recommande chaudement de visionner leur court métrage, «Archaeology of Light», justement conçu à l’aide de VIRUP lui-même, pour mettre en avant ses points forts. Le film est disponible en version classique 2D ainsi qu’en 360° et propose un voyage fascinant à travers cet univers virtuel.
«On y trouve des séquences de simulation si complexes, précise l’ingénieur informaticien Florian Cabot, concepteur du logiciel, qu’elles ont parfois nécessité jusqu’à 11 heures de calcul. Comme celle de la collision entre la galaxie Andromède et la Voie lactée, un phénomène attendu d’ici 6 milliards d’années. À elle seule, cette scène représente plus d’un téraoctet de données. L’animation est d’ailleurs beaucoup trop lourde pour être disponible dans le casque en temps réel et c’est la seule séquence du film que l’on ne peut pas voir à travers le logiciel. Mais on va essayer de trouver un moyen de l’y inclure l’an prochain…». Pour l’informaticien, le challenge a surtout été de gérer une quantité phénoménale d’informations en 3D, en temps réel et à 90 images par seconde, afin d’assurer une fluidité idéale à la réalité virtuelle. Un défi qu’il n’a pu relever qu’en concevant de A à Z son propre moteur graphique, tant ceux déjà très performants utilisés par les jeux vidéo, comme le célèbre Unity, n’étaient soit pas adaptés ou tout simplement pas assez efficaces.
Des pétaoctets de données supplémentaires
Voilà des décennies qu’astronomes et astrophysiciens collectent et cumulent des informations. Et c’est précisément leur gestion qui a poussé Yves Revaz, après 20 de travail sur des simulations numériques de galaxies, à concevoir VIRUP. «L’intérêt de ce logiciel est double: nous voulions d’une part créer un outil qui nous permette d’analyser toutes ces données recueillies, de les visualiser. Mais aussi partager cette connaissance avec le plus grand nombre. On a d’ailleurs obtenu le financement Agora, attribué par le Fonds National Suisse pour soutenir la communication entre les scientifiques et le public. Sans lui, le projet n’aurait jamais vu le jour». Aujourd’hui, ces données se comptent en téraoctets, mais les choses vont nettement s’accélérer ces prochaines années. Notamment avec les informations que s’apprête à recueillir le SKA (Square Kilometer Array), un gigantesque radiotélescope actuellement en construction, et déjà annoncé comme l’un des outils scientifiques les plus ambitieux du XXIe siècle. Des données qui se chiffreront cette fois en pétaoctets, soit en millions de gigaoctets. De quoi largement enrichir VIRUP.
En attendant, il est prévu d’inclure au logiciel les astéroïdes de notre système solaire et des objets célestes comme des nébuleuses ou des pulsars. «Je travaille aussi à une prochaine mise à jour qui permettra d’améliorer l’ergonomie du logiciel, souligne Florian Cabot. Notamment en ajoutant une liste des principaux objets pour s’y rendre directement, un peu comme une «liste des lieux à visiter absolument». Après, il faudra que je réfléchisse à un système un peu plus ludique pour se déplacer, plutôt que de se livrer à cette gymnastique des bras un peu fastidieuse…». «Cela fait 3 ans qu’on développe ce logiciel, continue Yves Revaz. On va y travailler encore 9 mois de manière certaine pour l’améliorer et le perfectionner mais on compte ensuite sur la communauté pour prendre le relais. C’est le principe de l’open source…».
Une exposition pour profiter de la 3D
Il n’est pas nécessaire d’être équipé du dernier cri en matière de réalité virtuelle pour jouir de l’expérience. Un ordinateur seul suffit. De préférence, une bête de compétition quand même. Il faudra alors juste se contenter d’images et de représentations en 2D. Après, si vous n’avez rien de tout ça à la maison, il ne reste qu’à vous armer d’un peu de patience. L’EPFL organisera en effet à partir du 21 avril 2022 une exposition intitulée «Cosmos Archaeology: Explorations in Space and Time». Au programme? La démonstration du logiciel d’abord dans un dôme à 180°, d’une dizaine de mètres de diamètre, sous lequel plusieurs personnes peuvent venir se coucher. Mais aussi à travers un système 3D plus immersif, appelé «Half-Cave», où le logiciel est cette fois projeté à la fois sur le sol où se tient l’utilisateur et un mur en face de lui. En portant des lunettes stéréoscopiques, celui-ci peut alors percevoir différents éléments flotter autour de lui.
Les organisateurs aimeraient également y ajouter des stations équipées de casques VR, mais rien n’est encore arrêté à ce sujet. Il est aussi possible de diffuser le logiciel sur un écran Panorama, un système cylindrique de 10 m de diamètre, en 3D, mais ce dernier ne pourra malheureusement pas être installé pour cette exposition. Celle-ci constituera en tout cas la première présentation publique du logiciel, après celles effectuées cet automne au Musée national de la nature et des sciences de Tokyo et à l’exposition universelle de Dubaï.