VaudTuerie d’Yverdon: «C’est ma famille et j’en fais ce que je veux»
Comment peut-on tuer ses enfants? Question posée au psychologue Philip Jaffé, qui se met dans la peau de l’homme qui a supprimé sa famille à Yverdon-les-Bains.
- par
- Vincent Donzé
«Ces assassins n’ont pas le courage de se suicider seuls», lâchait dimanche à Yverdon-les-Bains une psychologue devant la maison où trois jours plus tôt, un homme de 45 ans abattait sa femme de 40 ans et leurs trois filles de 5 ans, 9 ans et 13 ans, avant de se donner la mort. Ceux qui ont fait le déplacement par compassion ou curiosité se sont demandé comment peut-on tuer ses enfants? Question posée au psychologue Philip Jaffé.
Comment peut-on tuer ses enfants?
Le père a perdu ses repères et dans sa façon d’éliminer ses angoisses et ses souffrances, il emporte sa famille. Les explications renvoient aux publications du sociologue français Émile Durkheim (1858-1917) sur le suicide égoïste et anomique.
Pourquoi emporter sa famille?
Derrière un féminicide, on trouve généralement une séparation ou du moins, des difficultés relationnelles, avec ou sans jalousie. Ce qui rend le geste radical, c’est l’idée que personne ne doit survivre à sa souffrance. Souvenez-vous de cet homme qui prétendait être médecin à l’OMS à Genève et qui lorsque son mensonge permanent était sur le point d’être rendu public, a tué femme et enfants avant de rater son suicide.
Quel éclairage apporte cette affaire de 1993?
Elle montre l’existence d’un élément déclencheur, lorsque l’épouse s’apprête à parler, par exemple.
Une femme pourrait-elle supprimer ses enfants?
Il y a 20 ans en Valais, une mère a noyé son fils cadet dans une baignoire, tenté de tuer sa fille en la jetant dans le Rhône et manqué de se suicider avec ses deux autres enfants en précipitant sa voiture contre une pompe à essence. Une femme peut traverser sans dérive meurtrière un moment de désespoir en appelant à l’aide, voire une dépression profonde qui l’empêche d’exercer son rôle de mère. Non seulement les femmes n’éliminent leur conjoint qu’au compte-gouttes, mais dans une phase de séparation, elles sont protectrices envers les enfants. La différence avec un homme qui se sent trahi après avoir été quitté, c’est le fantasme de la possession qui lui fait penser que «c’est MA femme, MA famille et j’en fais ce que je veux».
Que révèle l’usage d’une arme à feu?
Les conflits ne se terminent pas de cette manière dans les familles sans arme à feu dans leur foyer. L’arme n’explique pas le passage à l’acte, mais elle donne la capacité de le réaliser.
Le tueur a-t-il brûlé la maison pour effacer des traces?
Non. Vouloir effacer sa famille et son foyer par un geste d’éclat, c’est l’expression d’une toute-puissance. Il ne s’agit pas de fanfaronner, mais de tirer la langue à la société. Ne laissez que des cendres, c’est une façon de dire «Oubliez-nous: on a le sort qu’on mérite, par la faute de ma femme». Une autopsie psychologique serait utile en incluant également les amis des enfants, sans les traumatiser.
Le premier droit de l’enfant n’est-il pas le droit à la vie?
Les enfants ont le droit à la survie, à la vie et au développement. Ce contrat est passé avec l’État. Quand les parents ne respectent pas ces droits fondamentaux, on sort du cadre juridique pour entrer dans une pathologie sociale et mentale.