InterviewHenri Dès sort un nouveau disque: «Ce n’est pas pour les mômes»
À 81 ans, avec «Autrement», le chanteur pour enfants s’adresse aux adultes pour la première fois depuis plus de quatre décennies.
- par
- Laurent Flückiger
Rien ne semble avoir changé chez Henri Dès, dans les hauts de Morges (VD) en cet après-midi ensoleillé de fin d’hiver depuis la dernière fois qu’on lui a rendu visite, en 2018 pour sa première tournée en solo. Son chien est le premier à nous accueillir, il y a toujours une certaine malice sous la moustache du chanteur pour enfants et la poussière trône encore sur ses Victoires de la musique, au-dessus de la cheminée.
Pourtant, depuis, Henri Dès est mort une première fois après un infarctus et le geste salvateur de sa compagne, en 2019. À présent, à 81 ans, il sort un album de chansons pour adultes ce qu'il n'a pas fait depuis quarante-cinq ans. Dans ce disque appelé «Autrement», il y a des petites histoires du quotidien, de la nostalgie, de l’amour ou de l’écologie. Juste une guitare, une contrebasse et sa voix. «À l’os». comme il dit. Décidément, après avoir provoqué le délire chez les fans de métal, Henri Dès n’a pas fini de nous étonner.
Qu’est-ce qui a déclenché votre envie de faire un album qui n’est pas destiné aux enfants?
Entre mars et novembre 2019, je ne sais pas ce qui m’a pris: tous les matins à 4 h je me suis réveillé et je me suis mis à écrire des textes et des chansons sur le petit carnet de notes de mon téléphone. En essayant de ne pas réveiller ma compagne. Et plus tard j’essayais de faire une musique dessus. Le 27 novembre 2019 à 17 h 57, je suis mort. (Rire jaune.) C’est pas drôle, hein? Mais je ne suis pas mort. Mon amie m’a sauvé la vie en me faisant des massages cardiaques. Et ces chansons, qui étaient pour adultes, je n’avais pas envie de les interpréter. J’avais décidé qu’elles seraient pour mon fils, Pierrick. On a sorti un disque en plein Covid et le pauvre n’a pu le défendre. Il s’est découragé et a arrêté.
Votre fils vous a alors convaincu de les chanter.
En effet, il m’a dit que ça serait bien pour garder une trace. Alors, je suis allé en studio avec un guitariste, Joris Amann. J’ai voulu y ajouter de la contrebasse, avec Fabien Iannone. Le résultat m’a plu. Je l’ai fait écouter à mes proches qui m’ont incité à sortir le disque.
Pourquoi avoir choisi d’appeler ce disque «Autrement»?
Pour que les gens comprennent que ce n’est pas pour les enfants. C’est compliqué. Je fais un seul spectacle, un vernissage avec 350 personnes que je connais, des gens du métier, des amis, la famille, des journalistes, des politiques. Je les avertis que ce n’est pas pour les mômes.
Il n’y aura pas de tournée avec ce projet?
Ça me titille. Mais je cherche la solution pour que ce soit bien clair pour tout le monde. Les concerts devraient avoir lieu le soir pour éviter que les enfants viennent. Ce n’est pas que je ne les aime pas, mais vaut mieux pour eux qu’ils ne viennent pas! Ils ne comprendraient pas ce que je raconte dans ces chansons.
Dans ce disque, on y trouve de nombreux portraits mais aussi beaucoup de vous.
Ce sont toutes des chansons que j’ai ressenties. J’ai un âge avancé qui me permet d’avoir une expérience, un puits d’observation, c’est pour ça qu’elles sont sorties comme ça. D’ailleurs, je me demande si, quand je les ai écrites, ce n’était pas prémonitoire, quelque part… Mourir comme ça, d’une seconde à l’autre, sans douleur, sans rien, et avoir eu envie neuf mois avant d’écrire des choses que je n’avais jamais pu écrire parce que ces thèmes-là ne pouvaient pas être traités à destination des enfants, j’ai dû avoir une prémonition.
Quel regard portez-vous sur votre carrière?
Je suis plutôt content. J’ai fait exactement ce que je voulais faire, toujours. Au départ, personne ne voulait de moi. Je me suis donc pris en main tout seul, j’ai monté ma propre maison de disques et j’ai enregistré ce qui me plaisait, sans contrainte. Ce sont des chansons qui ne sont pas du tout à la mode mais c’est peut-être pour ça qu’elles ne sont pas démodées et qu’elles continuent à exister.
Enregistrer un disque pour adultes, cela vous a rappelé vos débuts?
Pas vraiment. À mes débuts, quand je faisais des chansons pour adultes, j’avais 30 ans, je ne pouvais pas chanter les mêmes choses. D’ailleurs, je ne les rechanterais pas aujourd’hui. C’est sympa de les avoir faites, mais je trouve que c’est maintenant que j’ai acquis ce regard sur les autres. Si ça plaît aux gens tant mieux, sinon tant pis. De toute façon, ma carrière est faite, je n’ai pas de souci par rapport à ça. (Il sourit.)
L’écriture de ces chansons semble très instinctive.
Oui, quand je les ai écrites, j’étais couché, j’étais bien, mon cerveau était irrigué, je sortais d’un rêve, j’avais probablement déjà éliminé les problèmes de la journée précédente, et c’est sorti comme ça. Quand je les relis, je ne sais pas comment j’ai pu faire ça.
Comment interpréter ce que vous dites à la fin de l’album: «On se dit qu’il faut bien profiter, que maintenant le temps est compté, que tout ce qui vient en plus ce sera que du bonus.»
«Le café des amis» est une chanson sur un ami proche, qui a mon âge, à qui je téléphone tous les dimanches matin depuis plusieurs années. On se raconte ce qui nous reste de désirs, on se dit nos petits bobos qui noircissent le tableau. On parle de nous, de notre santé, énormément de politique française en ce moment, de l’Ukraine. C’est une conversation entre deux amis, mais ça ne découle pas de ma mort. Je ne savais pas que j’allais mourir.
Qu’est-ce que vous avez changé dans votre quotidien depuis votre «mort»?
Je fais beaucoup plus de gym, je fais attention à moi. J’aurais pu finir dans une chaise roulante si mon amie était intervenue plus tard. J’ai l’impression de démarrer une deuxième vie et tout ce qui se passe autour de moi, notamment avec ce disque, me fait plaisir.
Un nouveau disque pour les enfants, vous y pensez?
Non. J’ai écrit 250 chansons, ça va comme ça. Les gens les connaissent tellement que je ne vais pas leur en chanter des nouvelles.