Football - Des play-off dans le foot suisse: qu’en pensent-ils?

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FootballDes play-off dans le foot suisse: qu’en pensent-ils?

La Swiss Football League étudie une nouvelle réforme de la formule. On a fait le tour de la question avec un avocat et des techniciens dans le pays.

Christian Maillard
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Christian Maillard
Les dirigeants du foot suisse cherchent à rendre plus attractif le championnat pour ramener du monde au stade…

Les dirigeants du foot suisse cherchent à rendre plus attractif le championnat pour ramener du monde au stade…

LMS

Que faut-il faire pour bien faire? Alors que le comité de la Swiss Football League prévoit d’augmenter le nombre d’équipes en Super League de 10 à 12 dès la saison 2023-2024 et de passer en mode play-off, les réactions sont diverses dans le milieu helvétique, forcément. Il y a ceux qui pensent que c’est évidemment une bonne chose de redonner un coup de jeune à cette formule vieille de dix-neuf ans, mais il y a aussi quelques techniciens réticents qui s’inquiètent pour la Challenge League, catégorie hybride, qui resterait à dix clubs. Il y a encore des discussions en cours par rapport à cette deuxième division qui ne satisfait personne, tout comme la Promotion League, également en question.

C’est le 20 mai, date de la prochaine assemblée extraordinaire de la SFL, que les clubs vont décider si cette réforme, qui veut s’inspirer du succès populaire du hockey, passera la rampe. Qu’en pensent-ils? On a interrogé quelques personnalités du football suisse.

Joko Pfister: «On pourrait même aller jusqu’à 14»

Ex-joueur du Servette FC, Joko Pfister se souvient d’avoir perdu un titre avec Servette à cause de la formule de l’époque.

Ex-joueur du Servette FC, Joko Pfister se souvient d’avoir perdu un titre avec Servette à cause de la formule de l’époque.

ERIC LAFARGUE

Joko Pfister, ancien international suisse: «À mon avis, le championnat de Super League à dix, ce n’est vraiment pas terrible. Instaurer des play-off, comme au hockey? Pourquoi pas, de toute façon le monde change, le sport c’est un peu pareil, il faut vivre avec son temps. De toute manière, ça ne peut pas être pire que ce qu’on a maintenant. À l’époque, j’ai déjà vécu toutes sortes de formules, dont celle de Me Rumo, une bêtise. Je me souviens d’ailleurs avoir aussi perdu un titre avec Servette en 1978 à cause d’un règlement stupide où on divisait les points après le tour préliminaire. Cette année-là on avait beaucoup d’avance avant le tour final, mais avec la moitié on s’était fait rattraper par Bâle et perdu le match de barrage à Berne. En Autriche aussi, les dirigeants avaient essayé de limiter le nombre d’équipes mais ils sont vite revenus en arrière. Je pense qu’en Suisse on pourrait même aller jusqu’à 14 équipes en Super League…»

Claude Ryf: «Une formule dans l’air du temps»

Pour Claude Ryf, «une barre à six» ne va pas aider la formation.

Pour Claude Ryf, «une barre à six» ne va pas aider la formation.

LMS

Claude Ryf (entraîneur ASF et consultant): «On est toujours sur la formule qu’on pense idéale d’un championnat traditionnel, mais on peut l’oublier. Je pense que cette réforme est tout à fait dans l’air du temps en 2022. Maintenant, ce qui m’intéresse, c’est de savoir quand il y aura la cassure après les 22 matches. Car les équipes qui se trouveront parmi les six dernières places ne devront pas vivre six mois comme par le passé où à Noël tu pouvais avoir raté ta saison. Là, avec 22 rencontres, cela se passera à fin mars et si tu te retrouves dans le mauvais camp cela ne sera que durant trois mois. Après, l’autre question c’est: sur combien de matches le titre se jouera-t-il?  Ce n’est pas encore très clair.

»Cela dit, monter à 12 et protéger les équipes c’est juste. On pourrait même aller à 14 sachant qu’on a 14 partenariats de formation. On se trouve entre le désir et l’idéal du sportif qui est battu en brèche pour des raisons économiques. C’est toutefois un compromis qui pourrait être acceptable, pour autant que la barre des six n’intervienne qu’après Noël. Il est important que toutes les formations restent compétitives et gardent l’espoir jusqu’en mars car je me souviens de gros clubs qui avaient vécu six mois dans le tour de relégation et cela avait fait très mal.

«On est toujours sur la formule qu’on pense idéale d’un championnat traditionnel, mais on peut l’oublier. Moi en tout cas je ne l’ai pas.»

Claude Ryf, entraîneur ASF et consultant

»La formule idéale, je ne l’ai malheureusement pas mais avec une barre à six, cela va être compliqué d’introduire des jeunes et cela n’aide pas la formation. À moins qu’un club prenne le pari et des risques de leur faire confiance.»

Gabet Chapuisat: «Est-ce que cela va améliorer notre football?»

Pour Gabet Chapuisat, «on est dans le flou»

Pour Gabet Chapuisat, «on est dans le flou»

LMS

Gabet Chapuisat (ancien international, consultant, chroniqueur): «Qu’est-ce que cela m’inspire? Le tour de promotion, celui de relégation, j’ai joué à 14, à 16, durant ma carrière, j’ai vécu toutes les formules inimaginables. Aujourd’hui, comme les clubs veulent disputer 36 matches, on a deux tours partagés en deux, avec les six premiers et les six derniers avant d’ajouter des play-off, pourquoi pas? Mais qu’est-ce qu’on fait avec la Challenge League? On est dans le flou. Si on passe à 8 ce serait ridicule. Est-ce que cela va améliorer notre football? C’est une bonne question. Je n’en suis pas convaincu. Cette proposition n’a rien de révolutionnaire mais c’est vrai qu’il fallait bouger. Le problème c’est la deuxième division. Il faut trouver une meilleure solution avec la Promotion League qui ne sert à rien. On verra ce qui va être décidé, mais de toute manière cela ne sauvera pas Lausanne…»

Me Freddy Rumo: «Pas gêné d’avoir eu raison avant l’heure»

Me Freddy Rumo avait fait parler de lui dans les années 90 avec une formule qui portait son nom.

Me Freddy Rumo avait fait parler de lui dans les années 90 avec une formule qui portait son nom.

LMS

Freddy Rumo (avocat, ancien président neuchâtelois de l’Association suisse de football et de la Ligue): «Si on planche sur une nouvelle formule, cela signifie qu’il n’y a en pas une qui est idéale. La formule, c’est un serpent de mer. L’idée des play-off? Si on regarde historiquement ce qui s’est passé, ces séries finales ont été inventées, entre guillemets, par les hockeyeurs. Mais c’est d’après notre formule qui avait un peu cet ADN que le hockey s’est inspiré. Il faut reconnaître que cela a stimulé ce sport de façon extraordinaire. Est-ce que cela donnerait la même chose au niveau du foot? Je ne sais pas. Il faut faire l’expérience. Après, il s’agira d’avoir un peu de recul et ce n’est pas exclu que ça fonctionne.

»Un championnat à douze, aller et retour, cela représente 22 matches. Après, on en ajoute dix avant des play-off. Cela va forcément créer plus de matches attractifs qu’un mode de championnat ordinaire. À l’époque de ma réforme, nous avions instauré un tour pour le titre et un pour la relégation pour vaincre le ventre mou. Il y en a toujours un à moment donné, surtout quand il y a des équipes qui se singularisent tout de suite, soit parce qu’elles sont très fortes et sont irrattrapables trop rapidement, ou soit parce qu’elles sont très faibles et sont pratiquement déjà reléguées après le premier tour. Cela donne des matches avec peu d’intérêt. Avec plus d’équipes, cela rétrécit le ventre mou. C’est cela que cette formule essaie de combattre. Il y a des ingénieurs qui cherchent et des ingénieurs qui trouvent. En ce qui concerne la formule, c’est un peu l’œuf de Colomb. C’est compliqué mais les problèmes sont toujours les mêmes.

«Il faut reconnaître qu’avec le système des play-off, le hockey s’est transfiguré. C’est un succès médiatique avec des matches attractifs. Est-ce que le foot arrivera à faire ça? Pourquoi pas?»

Me Freddy Rumo, avocat

»Il faut reconnaître qu’avec le système des play-off, le hockey s’est transfiguré. C’est un succès médiatique avec des matches attractifs. Est-ce que le foot arrivera à faire ça? Pourquoi pas? Moi, en tout cas, j’ai toujours pensé qu’il fallait tenter des choses. Car alternativement à ça, qu’est-ce qu’il y a? Le maintien du statu quo! Ma formule à l’époque avait été critiquée. On reprochait qu’il y avait trop de matches, trop d’intensité, que les entraîneurs n’avaient pas le temps, qu’il y avait des risques de blessures. J’entendais ça du matin au soir. Après, quand j’ai regardé comment le hockey a évolué avec des matches tous les trois jours… Moi c’était de la guimauve, pourtant cela faisait pousser des cris d’orfraie à ces entraîneurs classiques parce qu’il fallait préserver les organismes dans un championnat de première division.

»Maintenant, il est important d’arriver à se hisser au niveau des nations étrangères pour être présent sur le plan européen. Et pour cela, pour obtenir un bon indice UEFA, des places supplémentaires et ne pas se déconnecter du système, il est primordial d’accepter des sacrifices et certains inconvénients. Quand je vois le football d’aujourd’hui, plus intense, où il y a moins d’espace, où la vitesse et l’engagement physique sont primordiaux, cela épuise les organismes. Quand on élabore une formule il faut aussi y penser. Pour un championnat à douze équipes, vingt-deux matches c’est supportable, après pour l’attractivité, on ajoute des play-off avec une phase plus intensive. Cette réforme me rappelle quelque chose. Je ne suis pas gêné d’avoir eu raison avant l’heure…»

Gérard Castella: «On n’a pas inventé la roue!»

Gérard Castella estime que nos dirigeants du football suisse doivent surtout penser «à augmenter le nombre de clubs en Challenge League pour donner des minutes de jeu aux jeunes espoirs».

Gérard Castella estime que nos dirigeants du football suisse doivent surtout penser «à augmenter le nombre de clubs en Challenge League pour donner des minutes de jeu aux jeunes espoirs».

GEORGES CABRERA/LMS

Gérard Castella (responsable de la formation à Young Boys): «Au niveau de la formation, on manque de solutions pour placer des talents. Pour qu’ils puissent jouer, monter à douze en Super League. c’est donc nécessaire, mais avec de nombreux clubs dans le pays qui développent leurs infrastructures modernes comme Winterthour, ce qui donne de la place aux jeunes, cette réforme ne serait pas complète. Que dix formations en Challenge League c’est également une immense bêtise, on devrait passer à quatorze ou à seize, en ajoutant des candidats de Promotion League comme Étoile Carouge ou Bellinzone.

»À Young Boys, quand on a des jeunes joueurs de talent qui ont fini leur cursus -21, on peine à les placer dans cette Challenge League par manque de place dans des contingents exorbitants. Alors oui, c’est bien de passer de dix à douze en Super League mais la deuxième division doit aussi songer à changer: pourquoi engager des étrangers de 3e, 4e ou de 5e catégorie qui sont nettement moins bons que nos jeunes? Ce n’est pas bien pour le football suisse. On doit limiter les mercenaires pour accueillir nos espoirs.

«C’est bien de passer de dix à douze en Super League mais la deuxième division doit aussi songer à changer»

Gérard Castella, responsable de la formation de Young Boys

»Maintenant, si on veut révolutionner quelque chose, il ne faut pas s’arrêter aux matches et à la première division, il faut aller plus loin dans la réflexion et surtout penser ce qui est bien pour le football suisse au niveau la formation. Car si on arrête de former des jeunes et qu’on ne peut pas les faire jouer en Challenge League, on va perdre des joueurs en route. L’an passé on a prêté trois de nos talents à Yverdon, aujourd’hui il y en a un qui joue dans notre première équipe et qui est international M21. C’est un bon exemple pour développer un joueur.

»Pour moi, avec ce système de play-off, avec les six premiers et les six derniers, on se complique un peu trop la vie. Pour moi, un championnat c’est à seize ou à dix-huit, avec des matches aller-retour, avec le premier qui est champion et le dernier qui est relégué. C’est ça le foot que je préfère. Les play-off et les pré-play-off, c’est le hockey. Maintenant, avec 12 équipes on pourrait très bien rajouter un troisième tour en fonction du classement. J’ai le sentiment qu’on revient en arrière quand on avait un tour final. Quand on a été champion en 1999 avec Servette, nous avions huit points d’avance à Noël puis on avait divisé nos points en deux. On n’a pas inventé la roue!»

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