CyclismeAvant, elle s’appelait Robert Millar et elle portait le maillot à pois
Quatrième du Tour et meilleur grimpeur en 1984, l’Écossais, qui a changé de nom et de sexe pour devenir Philippa York, travaille sur cette Grande Boucle pour une télévision australienne.


Philippa York est plus heureuse aujourd’hui, depuis qu’elle a effectué sa transition.
DRDébut des années 90, lors du Tour de Romandie, à Nendaz, juste après l’arrivée. Le jeune journaliste que j’étais encore se souvient très bien. C’est Robert Millar qui avait gagné. La mission: recueillir ses impressions. Le champion, qui avait remporté trois étapes sur la Grande Boucle – dont le tricot à pois en 1984 – n’avait pas été agréable ce jour-là. Ce grimpeur hors pair n’aimait pas trop les questions à chaud, après un gros effort, c’était sa hantise.

Quatrième du Tour, Robert Millar avait ramené ce maillot à Paris en 1984.
AFPAujourd’hui, il a changé. À tout point de vue. L’ex-coureur de Peugeot et Panasonic, qui a pris sa retraite sportive en 1995, était un homme malheureux, mal dans sa peau, qui a beaucoup souffert dans un corps qui n’était pas le sien. Depuis 2002, après une longue étape de transition (3 ans et demi), elle s’appelle désormais Philippa York et elle est… journaliste.
«Quand j’ai commencé le traitement, je pouvais arrêter à un certain moment ou continuer. Je suis allée au bout et je suis née une deuxième fois», a-t-elle révélé lors de son coming-out, en 2017. «Si j’avais eu 20 ans aujourd’hui, j’aurais déjà commencé les démarches, mais à l’époque (en 1978), cela n’existait pas, j’ai dû vivre avec cette souffrance» avait-elle ensuite déclaré au Parisien.
On l’a rencontrée dans la salle de presse à L’Alpe-d’Huez, là où il est venu tellement de fois quand il s’entraînait avant le Tour de France. «Autant dire que ces 21 lacets, je les connais bien», sourit cette dame de 63 ans, qui s’est souvenue de cette arrivée à Nendaz et de ses réponses assez sèches ce jour-là. «Comme Fignon, qui était le même que moi, c’était le meilleur moyen pour qu’ensuite on me laisse tranquille!», se marre l’Ecossaise qui vit paisiblement à Weymouth, dans le sud de l’Angleterre.

Robert Millar (maillot à pois) dans l’ascension du col de l’Izoard, lors de la 17e étape du Tour de France, ralliant Serre Chevalier, le 20 juillet 1986. C’était avant de craquer dans le Col du Granon.
AFPPhilippa, y avait-il autant de monde dans cette montée de l’Alpe-d’Huez lorsque vous l’aviez escaladée avec votre vélo et un maillot à pois sur les épaules?
Oui, et il y avait toujours beaucoup de pression et de l’excitation jusqu’au premier virage, car pour moi, il fallait que je sois tout de suite devant, sinon après, on ne récupérait plus. Il y avait aussi beaucoup de monde, mais il y avait énormément moins de Britannique que maintenant. Le cyclisme était moins connu en Angleterre. Nous étions 3 ou 4, aujourd’hui ils sont au moins une quinzaine.
«J’ai eu de bons et de moins bons moments sur le Tour de France, car il est évident qu’on ne peut pas être au top sur trois semaines.»
C’était votre première montée à L’Alpe-d’Huez à bord d’une voiture, que préférez-vous?
J’ai mis plus de temps en voiture qu’à vélo! Il y avait beaucoup de monde, dont notamment de gens qui avaient campé la nuit, mais c’est moins fou que je ne l’imaginais.
Et le Col du Granon, que le peloton a gravi mercredi dernier, vous étiez aussi dans le peloton en 1986, lors de la dernière fois que le Tour était venu ici?
Et j’avais craqué après 4 kilomètres seulement. J’avais été en galère jusqu’en haut. C’est l’année où Bernard Hinault avait aussi explosé et perdu son maillot.
Gardez-vous de bons souvenirs de vos 11 tours de France comme coureur?
J’ai eu de bons et de moins bons moments sur le Tour de France car il est évident qu’on ne peut pas être au top sur trois semaines. Il y a des jours où on se sent très bien, où on peut jouer la victoire d’étape, et d’autres où je manquais d’oxygène dans les cols et où je me suis fait très mal.
C’est plus facile de couvrir le Tour de France comme journaliste ou sur un vélo?
C’est plus simple de faire l’étape dans une voiture parce que quand on a trop chaud, on peut mettre la climatisation, et quand la température est plus fraîche, on allume le chauffage. Et s’il pleut, il y a des essuie-glaces, pas sur un vélo. C’est un stress différent même si c’est aussi dans la dernière heure qu’on fait le maximum pour gagner l’étape, écrire son article ou faire un commentaire pour la radio ou la télé.
«C’est plus simple de faire l’étape dans une voiture parce que quand on a trop chaud, on peut mettre la climatisation.»
Pour qui travaillez-vous sur ce Tour de France?
Je suis sur ce Tour pour SBS TV, qui est une télévision australienne. Je fais des textes sur le web, mais j’ai également une émission qui s’appelle «Bonjour le Tour», qui est diffusée le lendemain matin de l’étape puisqu’il y a un décalage horaire de 7 à 8 heures. Après l’abandon de Ben O’Connor, il me reste Mikael Matthews et Michael Storer.
Et vous parlez de quoi dans vos chroniques?
Je ne parle pas de classement ou d’écart, ce sont des analyses, ce qui s’est passé dans l’étape, pourquoi tel coureur a craqué ou tel autre a gagné. C’est juste mon ressenti.
Vous auriez voulu être dans ce peloton aujourd’hui, avec cette chaleur et cette vitesse?
Avec le matériel, cela va plus vite qu’avant, c’est vrai, mais la hiérarchie est toujours respectée. Dans toutes les époques, si tu es talentueux et que tu es en bonne santé, tu seras devant.
Vous roulez encore, Philippa?
Je roule pour le plaisir et pour rester en bonne santé, mais je vais moins vite, moins loin et je ne monte plus les cols. J’ai la soixantaine maintenant. Les gens pensent que je pourrais rouler comme il y a 30 ans, mais non, je suis bientôt à la retraite.
«Je roule pour le plaisir et pour rester en bonne santé, mais je vais moins vite, moins loin et je ne monte plus les cols.»
Jeannie Longo, qui a votre âge, dispute encore des courses, elle…
Longo? Mais ce n’est pas mon problème. Elle était déjà spéciale à l’époque. Je ne vais pas aller l’embêter.
Allez-vous couvrir pour votre média le Tour de France féminin?
Je ne sais pas encore. S’il y a du travail pour moi, pourquoi pas?