Affaire Paul PogbaMartial Saugy: «Le dopage dans le football européen n’est pas un fléau»
Le Vaudois a dirigé le laboratoire antidopage de Lausanne pendant 20 ans. Il connaît bien la testostérone, à cause de laquelle le footballeur de la Juventus vient d’être suspendu provisoirement.
- par
- Florian Vaney
Que faut-il comprendre du contrôle positif de Paul Pogba à la testostérone? Qu’est-ce que cela dit du produit en question? Et du milieu de football? Après des mois de galère, le footballeur français pourrait tomber au plus bas si le résultat de son test était confirmé par l’analyse de l’échantillon B. Lundi, l’Agence italienne antidopage a annoncé la suspension provisoire du milieu de la Juventus, à la suite d’un prélèvement effectué après le match du 20 août face à l’Udinese. Malgré les soupçons qui pèsent parfois sur le sport roi, «l’affaire Pogba» demeure un cas rare.
La testostérone, un «compromis» idéal
Mais a-t-elle surpris Martial Saugy, expert reconnu dans le domaine du dopage, qui a dirigé le laboratoire antidopage de Lausanne durant 20 ans et jusqu’à 2021? L’ancien professeur ne donne pas de réponse fixe, mais lance des pistes de réflexion. En commençant par s’intéresser au produit utilisé dans le cas présent. «La testostérone constitue un produit phare. Parce qu’il s’agit du stéroïde anabolisant le plus efficace, tout en se voulant plus difficile à détecter que les autres.» Cette balance avantageuse vaut pour les sports de force et d’endurance comme pour le football. «Elle confère un effet anabolisant à long terme, des avantages musculaires, en termes de récupération… Tandis que sa fenêtre de détection n’est que de 24 à 48 heures.»
On pourrait s’étonner qu’un footballeur de très haut niveau, en connaissance de cette dernière variable, puisse se faire surprendre lors d’un contrôle d’après-match. Auquel il est habitué et qu’il peut prévoir à l’avance, contrairement à ceux qui ont lieu à l’improviste. La prudence vaut pour l’heure, et rien ne dit, en attendant les contre-analyses, que Paul Pogba a bel et bien fauté.
Au cœur d’un ciblage?
«Une hypothèse existe, qui voudrait que Paul Pogba se soit retrouvé au cœur d’un ciblage», reprend Martial Saugy. Dès qu’un footballeur passe par la case contrôle antidopage, un passeport biologique est créé à son nom. Plusieurs variables biologiques y apparaissent, dont le taux de testostérone. «Lorsque les organismes de contrôle aperçoivent des données qui leur semblent anormales, ils peuvent chercher à confirmer ou infirmer leurs doutes via d’autres tests.» Le taux de testostérone du milieu de terrain avait-il quelque chose d’inhabituel ou d’étrangement haut avant son contrôle du 20 août?
Selon la Gazzetta dello Sport, la Juventus pourrait demander la résiliation du contrat de son joueur s’il s’avérait impliqué volontairement dans cette affaire. Le club lui-même s’était retrouvé au cœur d’un scandale de dopage dans les années 1990. Le Tribunal de Turin avait fini par condamner à un an et dix mois de prison le médecin chef de l’équipe, Riccardo Agricola, avant d’être relaxé. En 2017, la Juve le réembauchait pour gérer sa structure médicale.
La Serie A hautement surveillée
«Il faut noter que le football italien a réalisé de très gros efforts dans la lutte contre le dopage. Tout a changé depuis 20 ans. Avec la Premier League, la Serie A est le championnat le plus contrôlé, détaille Martial Saugy. L’UEFA possède également un programme particulièrement poussé, que je connais bien, et qui lui vaut le respect de l’Agence mondiale antidopage.» De là à écarter tout soupçon d’un procédé plus global qu’individuel?
«On peut me taxer de grand naïf, mais je ne pense pas que le dopage soit un fléau à l’échelle du football européen. Et ça fait 25 ans que je travaille avec des personnes de ce milieu. Dans le contexte de concurrence extrême des grandes équipes, un joueur a énormément à perdre en se faisant pincer. Les risques pour sa carrière sont immenses. En outre, si l’on regarde les statistiques, la majorité des athlètes contrôlés positifs le sont aux drogues sociales. Or, dans une optique de performances, la testostérone, par exemple, a nettement mieux fait ses preuves…»