RussieQuinze ans après, on ignore toujours qui a fait exécuter Anna Politkovskaïa
Les proches de la journaliste russe, assassinée en 2006, ont commémoré jeudi l’anniversaire de sa mort, alors que le commanditaire, désormais protégé par la prescription, reste introuvable.
Les proches et collègues de la journaliste russe Anna Politkovskaïa ont commémoré jeudi son assassinat il y a 15 ans, dénonçant le fait que son ou ses commanditaires, toujours pas identifiés, bénéficient désormais de la prescription pénale.
Le rassemblement commémoratif au siège de «Novaïa Gazeta», l’employeur de cette journaliste d’investigation, s’est déroulé cette année dans un contexte de pressions accrues sur les médias indépendants, l’opposition et les ONG critiques du Kremlin depuis l’arrestation en début d’année d’Alexeï Navalny, le principal détracteur du président Vladimir Poutine.
Critique du pouvoir russe, en particulier de la sanglante guerre de Tchétchénie et du dirigeant de cette république du Caucase, Ramzan Kadyrov, Anna Politkovskaïa a été abattue dans la cage d’escalier de son immeuble à Moscou le 7 octobre 2006, une date coïncidant avec celle de l’anniversaire de Vladimir Poutine.
Quinze ans après ce crime, qui avait provoqué une onde de choc en Russie comme à travers le monde, seuls des exécutants ont été condamnés. «Le meurtre n’a pas été élucidé», déplore le fils de la journaliste, Ilia Politkovski, 42 ans.
Manque d’empressement des autorités à faire la lumière
Interrogé au cours d’une cérémonie organisée dans les locaux du journal, il a critiqué le manque d’empressement des autorités à faire la lumière sur cette affaire, tout en relevant que ni la famille, ni «Novaïa Gazeta» n’avaient de réponses.
Coup supplémentaire: à la date de jeudi, «les commanditaires ont officiellement échappé à la responsabilité pénale» à cause de la prescription du crime, a regretté le journal.
«Depuis 15 ans, nous ne parvenons pas à identifier le commanditaire et avec chaque jour qui passe, il y a de moins en moins de chances», relève le rédacteur en chef de «Novaïa Gazeta», Dmitri Mouratov.
Les collègues de la journaliste s’efforceront désormais d’obtenir devant les tribunaux la réouverture de l’enquête, «jusqu’à ce que soit révélé le nom du donneur d’ordre».
Bureau transformé en mémorial
Dans les locaux du journal, le bureau de la journaliste a quant à lui été transformé en mémorial: ordinateur de l’époque, lunettes rondes posées sur un livre ouvert, piles de courriers cachetés et vieux journaux.
«Tout le monde sait qui est le commanditaire, mais personne n’en parle», assène pour sa part David Arakelian, un étudiant en journalisme de 18 ans présent à la cérémonie à Moscou et qui dit avoir été inspiré par le travail d’Anna Politkovskaïa.
Une opinion que partage le rédacteur en chef adjoint de «Novaïa Gazeta», Sergueï Sokolov, pour qui «la direction politique (du pays) connaissait le nom» du donneur d’ordre.
Le porte-parole de la présidence russe, Dmitri Peskov, a pour sa part assuré que le Kremlin «aimerait que tous les responsables de ce crime – les commanditaires comme les exécutants – soient punis», mais qu’il était «très difficile» d’établir la vérité.
Cible de Ramzan Kadyrov, homme fort de Tchétchénie
En 2014, cinq hommes ont été reconnus coupables d’avoir organisé l’assassinat ou d’y avoir participé, se voyant infliger de lourdes peines. Le Tchétchène Lom-Ali Gaïtoukaïev, l’organisateur logistique, est mort en 2017 en prison.
Mais pour les détracteurs du pouvoir, le véritable commanditaire est à chercher ailleurs, peut-être au sein des plus hautes instances de la république russe de Tchétchénie.
«Novaïa Gazeta», comme Anna Politkovskaïa, se sont régulièrement attiré de virulentes critiques de la part de l’homme fort de Tchétchénie, Ramzan Kadyrov, accusé de nombreuses brutalités.
Ces dernières années, ce journal a publié des enquêtes sur les agissements de groupes de mercenaires russes ou encore les persécutions des minorités sexuelles en Tchétchénie.
«Beaucoup de ce qu’elle a écrit s’est avéré être une prophétie»
Les commémorations interviennent dans un contexte difficile pour la presse indépendante russe, sous la pression constante des autorités qui ont officiellement qualifié plusieurs médias d’«agents de l’étranger», une désignation qui les soumet à de fastidieuses procédures administratives.
«Ce qui se passe aujourd’hui, Anna Politkovskaïa l’avait décrit à l’époque. Beaucoup de ce qu’elle a écrit s’est avéré être une prophétie», regrette son fils Ilia.