Jura - C’est la fin du dernier élevage romand d’autruches

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JuraC’est la fin du dernier élevage romand d’autruches

La mort dans l’âme, Joseph Noirjean s’apprête à bouchoyer ses dernières pensionnaires, à Lajoux.

Vincent Donzé
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Vincent Donzé

Voilà, c’est fini, le dernier élevage romand d’autruches ferme ses portes. C’est un crève-cœur pour son fondateur, après 26 ans d’«Autruches Aventure». À 58 ans, Joseph Noirjean pensait remettre l’entreprise à son fils et sa belle-fille, désireux d’aménager un parc d’animaux indigènes en voie de disparition avec la fondation «ProSpecieRara». Mais le Service jurassien du développement territorial a mis son veto.

Pour faciliter cette succession qui a finalement échoué, Joseph Noirjean a réduit son cheptel, progressivement mais drastiquement. La ferme reprise à son grand-oncle a été vendue: elle abritera de la paysannerie classique, faite de vaches et de chevaux.

«En un coup de patte»

Dans une exploitation qui a compté jusqu’à 70 autruches, à Lajoux, on se croirait dans un Lucky Luke, avec des prairies à perte de vue, mais Joseph Noirjean préfère Gaston Lagaffe, raison pour laquelle deux autruches s’appellent Gaston et Jeanne, Mademoiselle Jeanne.

À «Autruche Aventure», personne n’entre dans un enclos, pas même l’éleveur: «En un coup de patte, une autruche vous liquide, dans un mouvement de haut en bas mesuré en diagonale à 300 km/h, toutes griffes dehors. Une autruche éventre un lion ou un guépard…», prévient l’éleveur. Récupérer un smartphone becqueté par une femelle prise en photo n’est pas chose aisée…

Dans ses cuisses

Toute l’énergie d’une autruche omnivore de 170 kilos est concentrée dans ses cuisses, qui font 50 kilos la paire, désossées. Une viande rouge qui fait surtout des saucisses sèches pour ne pas entraver la chaîne du froid, mais qui fait paraît-il un excellent tartare. C’est pour cette viande que Joseph s’est lancé dans un élevage, en provenance de Vevey, mais aussi pour les visites de touristes et d’écoliers qui l’ont toujours ravi.

Là, au printemps, c’est le moment de la ponte. Le mâle Guillaume Tell exécute volontiers sa danse nuptiale devant un visiteur, mais il protège aussi ses deux femelles, Edelweiss et Gentiane, des ados d’à peine 15 ans, avec une espérance de vie de 70 ans. Chez Joseph Noirjean, les reproducteurs ont des noms, au contraire des autruches bouchoyées à 18 mois.

Une offre pour un couple

Un couple d’émeus a été repris en Valais, c’est déjà ça. Lundi prochain, à moins d’un miracle, Joseph Noirjean bouchoiera Gaspard et Romeo, après les avoir abattues au moyen d’un percuteur et avoir retroussé une chaussette sur leurs yeux.

L’éleveur a reçu une offre pour un couple, assorti peut-être d’une femelle, mais un repreneur doit pouvoir montrer patte blanche et posséder une autorisation, un enclos et un abri. «À moins de posséder un zoo…», soupire l’éleveur de Lajoux, qui a fait chou blanc en France et en Allemagne, pour des questions de douane et de transport.

«Réincarné en autruche»

L’autruche reste un animal sauvage qui n’identifie pas son éleveur, mais Joseph Noirjean est tombé sous le charme de ce volatile qui possède deux paupières, comme le chameau, la première blanchâtre servant à se protéger du sable sans perte de vision: «J’aimerais être réincarné en autruche».

Jamais dans son enclos, une autruche n’avait assez d’espace pour courir à 80 km/h pendant une demi-heure. Mais Joseph Noirjean se fait philosophe: «L’homme est le seul qui court pour se fatiguer, sans être pourchassé…».

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