Gymnastique«Culture toxique» et «pratiques abusives» révélées au Canada
Des gymnastes sont sortis du silence pour dénoncer la manière dont les athlètes étaient traités. Une action en justice contre Gymnastique Canada a notamment été intentée.
Elles pouvaient paraître inébranlables sur une poutre, tête haute, mais leurs performances cachaient un mal profond: des gymnastes du Canada dénoncent la «culture toxique» de leur sport, les maltraitances physiques et psychologiques, et poursuivent en justice leur fédération nationale.
Insultes en public, contrôle extrême du poids et privation de nourriture, étirements excessifs forcés, larmes interdites, contacts physiques inappropriés... Les corps et les esprits maltraités en gymnastique se révèlent au grand jour au Canada.
Lettre ouverte
Au Royaume-Uni, des gymnastes britanniques ont, l’an passé, lancé une action en justice similaire. Depuis l’énorme scandale de violences sexuelles touchant la gym américaine, qui a démarré en 2015, des gymnastes du monde entier ont dénoncé des violences physiques et psychologiques passées.
Fin mars, au Canada, un groupe de plus de 70 gymnastes avait publié une lettre ouverte pour demander au gouvernement une enquête indépendante sur la «culture toxique et les pratiques abusives qui persistent dans le monde de la gymnastique au Canada». Depuis, plus de 400 gymnastes, actuels ou anciens, l’ont signée mais la réponse d’Ottawa se fait toujours attendre.
Dans la région de Vancouver, sur la côte ouest canadienne, Amelia Cline rêvait des Jeux olympiques. À l’adolescence, la gymnaste consacrait trente heures par semaine à l’entraînement. «Les premières années de ma carrière ont été bonnes, mais ont malheureusement été éclipsées par les trois dernières, qui elles ont été extrêmement brutales», confie à l’AFP l’ancienne gymnaste, aujourd’hui âgée de 32 ans, évoquant de nombreux épisodes d’humiliation publique, d’insultes et de sévices.
Action en justice
Cette ex-sportive de haut niveau dans les catégories jeunes a intenté mercredi avec d’autres une action en justice contre Gymnastique Canada et des fédérations provinciales pour avoir toléré ce climat de maltraitance physique et psychologique dans les clubs pendant des décennies. «La poursuite est essentiellement conçue pour, espérons-le, tenir ces institutions responsables de ces violences systémiques», explique Amelia Cline. Contactée, la fédération canadienne n’était pas joignable dans l’immédiat.
«Il semble logique pour nous qu’une enquête indépendante ait lieu et que ces gymnastes approuvent aussi les membres du comité qui serait formé pour mener cette enquête», a estimé Micheline Calmy-Rey, présidente de la Fondation d’éthique de la gymnastique, créée en 2019 par la Fédération internationale de gymnastique à la suite des différents scandales.
«Effets à long terme»
Amelia Cline raconte qu’à 14 ans, elle était «sans cesse contrôlée et interrogée sur (son) poids». Résultat, près de 20 ans après avoir abandonné la gymnastique, la jeune femme souffre encore aujourd’hui des «effets à long terme» de cette maltraitance: des difficultés à maintenir de saines habitudes alimentaires et aussi des douleurs chroniques.
Comme bien d’autres, l’ancienne gymnaste déplore une «culture de la peur et du silence» dans les clubs à travers le pays. «Tu ne peux pas remettre en question ce que font les entraîneurs. Ils sont les experts, et ce sont eux qui vont t’emmener aux Jeux olympiques», dit-elle, veste rouge sur le dos.
Culture du silence
Cette relation toxique, une ancienne gymnaste canadienne de haut niveau s’en souvient bien. «J’avais tout le temps peur. J’adorais le sport, les voyages et mes coéquipières, mais j’étais terrifiée par mes entraîneurs», confie-t-elle à l’AFP sous couvert d’anonymat.
Elle raconte aussi la solitude très forte ressentie par les gymnastes: dans de nombreux clubs au Canada, les parents ne sont pas autorisés à assister aux entraînements. Et l’on demandait à ces très jeunes enfants de ne jamais raconter les méthodes, les entraînements.
«Ce qui se passe au gymnase reste au gymnase», nous répétaient en boucle les entraîneurs, raconte Kim Shore, porte-parole de Gymnast For Change Canada. Pour cette ancienne gymnaste, mère d’une jeune femme qui a elle aussi dénoncé de la maltraitance, la gymnastique est un milieu «corrompu» où règne la «culture de la domination».