Environnement - Entre exigences et doutes, les peuples autochtones rejoignent l’UICN

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EnvironnementEntre exigences et doutes, les peuples autochtones rejoignent l’UICN

Pour la première fois, les peuples autochtones deviennent des membres de pleins droits de l’UICN. Il s’agit du résultat d’un long processus semé d’embûches

José Gregorio Diaz Mirabal, de la Coordination des organisations indigènes du bassin amazonien, fait partie des autochtones présents à Marseille.

José Gregorio Diaz Mirabal, de la Coordination des organisations indigènes du bassin amazonien, fait partie des autochtones présents à Marseille.

AFP

Les peuples autochtones font leur entrée cette année dans l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) comme membres de pleins droits, avec leurs exigences, mais aussi leurs doutes et leur défiance.

Relmu Namku est une indigène mapuche argentine, jugée en 2015 pour s’être opposée à la police afin d’empêcher l’exploitation d’un gisement pétrolifère, avant d’être jugée non coupable. Malgré les difficultés liées à la pandémie du Covid-19, elle a pu voyager jusqu’à Marseille où se tient le congrès mondial de l’UICN, avec un objectif clair.

«Nous critiquons sévèrement la façon dont la préservation de la nature a été gérée pendant toutes ces années», explique-t-elle à l’AFP. «Historiquement, les aires protégées ont été créées à travers l’usurpation des territoires des communautés» autochtones.

Nous critiquons sévèrement la façon dont la préservation de la nature a été gérée pendant toutes ces années.

Relmu Namku, indigène mapuche argentine

Être membre de l’UICN, avec un droit de vote, «peut servir à faire pression sur nos gouvernements», ajoute Relmu Namku. Sa position n’est pas partagée par tous: les Navajos aux États-Unis ont ainsi décidé en 2019 d’acheter les mines de charbon exploitées pendant des décennies par des sociétés, sur leurs terres en Utah, en dépit des conséquences environnementales possibles.

L’UICN rassemble des États, des agences gouvernementales, des ONG internationales et nationales, des agences de développement économique, des entreprises. Elle est forte de plus de 1400 membres, appuyés par de nombreux experts. Ses avis et motions votées par ses membres tous les quatre ans font donc référence dans le monde de la protection de la nature.

«Nous sommes des peuples»

L’entrée des peuples autochtones est le résultat d’un long processus semé d’embûches, selon des sources intérieures et extérieures à l’organisation. «Ils nous ont invités (pendant des années), mais les peuples indigènes ne se considèrent pas comme des organisations de protection de la nature», raconte à l’AFP Victoria Tauli-Corpuz, ancienne rapporteure spéciale sur les droits des peuples autochtones à l’ONU.

«Nous sommes des nations, nous sommes des peuples», s’exclame cette responsable autochtone philippine. «De plus, les droits d’entrée sont tellement élevés pour nous. D’où pensent-ils que les peuples autochtones tirent leur argent?» Les cotisations à l’UICN varient de 300 francs jusqu’à 20’000 francs annuellement, selon des critères précis, notamment de revenus.

«Depuis les années 1980, des groupes autochtones ont été membres de l’UICN, les Inuits ont fait partie des premiers», se souvient Enrique Lahmann, responsable de l’organisation du congrès à Marseille. Mais ils ne possédaient pas de droit de vote. Et la discussion sur le sujet a duré des années, discrètement, jusqu’à ce que soit décidé de leur donner une catégorie propre au sein des membres de l’UICN.

Défiance mutuelle

Les peuples autochtones auront leur propre voix. Mais au moment de voter, ils formeront partie du collège des organisations non gouvernementales. À cause du Covid, à peine une vingtaine d’activistes autochtones ont pu venir à Marseille. Avec la volonté de se faire entendre.

Leur demande principale? Que 80% de l’Amazonie soit protégée d’ici 2025. Leur raisonnement est simple: «La moitié des arbres, 80% de la biodiversité» du globe, se trouve dans des territoires autochtones, rappelle Peter Seligmann, un Américain qui après des années de militantisme a créé sa propre organisation, Nia Tero (Notre Terre) avec des indigènes au conseil d’administration.

«Cela n’a pas de sens que des consultants, des entreprises, viennent enseigner aux indigènes ce qu’ils doivent faire pour protéger (la nature), c’est ce que nous faisons depuis toujours», argumente José Gregorio Diaz Mirabal, de la Coordination des organisations indigènes du bassin amazonien. Le chemin est encore long pour rapprocher le monde de la protection de la nature, éminemment scientifique, et celui des indigènes, traditionnel, et éliminer peu à peu les défiances mutuelles.

Cela n’a pas de sens que des consultants, des entreprises, viennent enseigner aux indigènes ce qu’ils doivent faire pour protéger (la nature), c’est ce que nous faisons depuis toujours.

José Gregorio Diaz Mirabal, de la Coordination des organisations indigènes du bassin amazonien.

Il y a «une réticence des communautés à partager leurs connaissances et une réticence aussi des scientifiques (…) à cause de la fiabilité» des savoirs traditionnels, constate Aissatou Dicko, représentant indigène du Burkina Faso. «En Afrique nous avons plein de tabous».

Version originale publiée sur 20min.ch

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