Football: La grande tentative d’apaisement de Pierluigi Tami

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FootballLa grande tentative d’apaisement de Pierluigi Tami

Reproches, soutien, explications, changements à venir: le directeur des équipes nationales a ouvert les portes de la Maison du football. Au centre de tout: Murat Yakin.

Florian Vaney Muri
par
Florian Vaney Muri
Pierluigi Tami dit vouloir «retrouver la Suisse d’avant».

Pierluigi Tami dit vouloir «retrouver la Suisse d’avant».

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Troisième étage de la Maison du football, fief de l’Association suisse de football, mercredi après-midi. Est-ce un hasard si Pierluigi Tami nous reçoit, ainsi que deux confrères romands, dans une salle nommée «penalty»? Sans doute. Dans le passé récent de l’équipe nationale, la notion de penalty renvoie à une époque douce et faste, lorsque l’Italie l’avait envoyée à la Coupe du monde au Qatar en perdant ses moyens sur le point des onze mètres. L’association d’idées gagne en contenance au moment de pénétrer dans la salle. Sur le mur le plus large, une photo-peinture de l’équipe nationale à la Swissporarena de Lucerne, une fraction de seconde après avoir validé sa qualification pour le dernier Mondial. Le directeur des équipes nationales voudrait apaiser la situation qu’il ne recevrait pas autre part.

La discussion qui s’amorce tournera largement autour de Murat Yakin. 24 heures plus tôt, l’ASF avait communiqué le maintien de sa confiance envers son sélectionneur, qui restera en place au moins jusqu’à l’Euro 2024, mettant fin au suspense autour de la question. Mais pas fin à un débat acharné quant à la crédibilité de Yakin pour ce poste. Sourire accueillant, verbe chaleureux: la gestuelle de Pierluigi Tami confirme la volonté de calmer le jeu initiée par le décor.

Un discours bien rodé… avant quelques aveux

Le chef direct de Murat Yakin est-il vraiment enclin à répondre aux chaudes questions du moment, à entrer dans les détails du pourquoi le sélectionneur suisse se trouve-t-il toujours en poste après une campagne de qualification chaotique pour l’Euro, et du comment ce dernier compte-t-il s’y prendre pour ramener lui-même son équipe sur le droit chemin? Oui et non. Il apparaît rapidement que le discours du Tessinois est bien rodé, qu’il redirige volontiers certaines interrogations de circonstances vers des phrases préparées.

Durant une heure, Pierluigi Tami fait d’ailleurs deux haltes vers un PowerPoint prévu pour l’occasion. La seconde a pour but de mettre en lumière «l’année où on a connu le plus de succès avec nos équipes nationales». Montée en puissance de plusieurs sélections juniors, gains de positions dans la hiérarchie mondiale, fréquence de participation aux grands tournois en hausse… La situation réjouissante mérite d’être soulignée. Mais cela ne concerne que bien peu Murat Yakin. Contrairement au premier PowerPoint.

D’après les calculs de l’ASF, la Suisse aurait dû gagner 9 matches sur 10

Des aveux, le directeur des équipes nationales en lâchera quelques-uns. Mais en premier lieu, l’homme a pris place dans cette salle penalty pour défendre son coach. C’est d’ailleurs tout le concept du graphique qu’il diffuse, sur lequel les dix prestations de l’équipe de Suisse en qualification pour l’Euro sont rangées en fonction de la possession de balle et d’un «marqueur de dangerosité».

«Tous les 30 points, on devrait théoriquement marquer un but de plus que l’adversaire», détaille-t-il. Il est donc sous-entendu qu’avec 98 points, l’équipe nationale aurait dû battre la Roumanie par trois buts d’écart au mois de juin. Score final: 2-2. À l’exception d’une des deux rencontres face au Kosovo, le calculateur de l’ASF estime que la Suisse aurait à chaque rencontre dû marquer davantage que son adversaire. Ce qui n’a été le cas qu’à quatre reprises.

«On avait les jambes, la tête, mais pas toujours le cœur»

Pierluigi Tami, directeur des équipes nationales.

«Après la campagne de qualifications, Murat nous a montré une analyse claire de ce qui n’a pas fonctionné et possède une vision claire pour ramener l’équipe de Suisse à sa place. Il bénéficie de tout mon soutien.» Cette phrase est revenue plusieurs fois à la bouche de Pierluigi Tami. Cela peut signifier que le décrié sélectionneur a su trouver suffisamment d’excuses pour justifier les derniers rassemblements calamiteux. Parmi lesquelles, donc, la domination quasi systématique de son équipe démontrée par les statistiques.

Des cadeaux pour Granit Xhaka?

«On est conscients que les stats ne disent pas tout, et que nos contre-performances ne sont pas uniquement le fruit du hasard, reprend alors le Tessinois. Pourquoi? Je ne crois pas que les jambes et la tête ont posé problème. En revanche, le cœur n’a pas toujours été au rendez-vous chez les joueurs. On a manqué de détermination, de rage.» Pour une partie de public, cela s’explique par un désamour entre Murat Yakin et ses hommes. Lancé sur ce potentiel malaise entre banc et terrain, Pierluigi Tami préfère d’autres explications.

Murat Yakin devra sans doute atteindre le prochain match amical, au mois de mars, pour redorer son image auprès d’une partie du public suisse.

Murat Yakin devra sans doute atteindre le prochain match amical, au mois de mars, pour redorer son image auprès d’une partie du public suisse.

AFP

«Pour la première fois, la Suisse s’est retrouvée favorite d’un tournoi de qualification. Cela a pu amener une certaine sécurité, un certain confort dans l’esprit des joueurs. À partir du rassemblement de septembre, j’ai vu de la nervosité, des doutes.» C’est ici que le dirigeant de 62 ans ose la boutade, en référence au jour où Granit Xhaka a publiquement critiqué l’intensité lors des entraînements en sélection. «Granit a offert un cadeau aux journalistes. Vous devriez lui offrir un cadeau en retour. Il y avait trois jours de break avant le match contre Andorre, une actualité plutôt plate: la sortie de Granit vous a donné de quoi écrire. Même si, évidemment, c’était une erreur de sa part.»

«Je peux entendre que Murat a parfois manqué d’une ligne claire au niveau des convocations»

Pierluigi Tami.

Onze joueurs sur le terrain, un entraîneur sur le banc: Pierluigi Tami respecte la proportion lorsqu’il s’agit d’émettre des critiques sur les récents échecs suisses. Il faut donc s’armer de patience avant de l’entendre lancer le début d’un reproche à l’égard de son sélectionneur. Et évoquer le cas des latéraux, auxquels Murat Yakin a si souvent tourné le dos. «Il faut d’abord souligner que Murat est 100% libre au moment des convocations. Parce qu’à la fin, la responsabilité des résultats lui revient. Je peux entendre qu’il a parfois manqué d’une ligne claire à ce niveau. Mais il faut toujours prendre en compte les circonstances. Cela a pu découler de choix techniques, de blessures, de l’état de forme des joueurs.»

Du changement dans le staff

Et cette fameuse «vision» de Murat Yakin pour un futur plus radieux, peut-il en tracer les contours? «Il est question d’éventuelles modifications dans le staff, avec la création pourquoi pas d’un ou plusieurs nouveaux postes. On parle aussi d’intégration des jeunes, de la gestion des plus anciens, qui arriveront en fin de carrière internationale avant ou après l’Euro. Et des matches amicaux du printemps prochain, qu’on souhaite disputer face à des sélections de premier plan. Mais je ne souhaite pas entrer plus profondément dans les détails. On doit d’abord informer les membres à l’interne.»

Samedi, les deux hommes s’envoleront ensemble pour Hambourg et le tirage au sort des groupes de l’Euro. Alors même qu’il se dit qu’une certaine tension pourrait exister entre eux. «Parce que je me suis montré critique à la fin des qualifications. Ça m’a paru normal, puisque certains matches et certaines choses m’ont déplu. Surtout les résultats, en fait. Je ne voulais pas la peau de Murat, mais qu’on analyse, qu’on progresse ensemble. Et Murat ne s’est pas caché.» En coulisses peut-être. Face aux résultats du printemps prochain, il n’en aura pas l’occasion. D’ici-là, avec scepticisme ou espoir, le public suisse n’a d’autres choix que d’attendre.

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