FOOTBALLJust Fontaine: «La tactique, c’est des conneries»
Décédé ce mercredi, l’homme qui avait planté treize fois au Mondial 1958 nous avait accordé un entretien pendant l’Euro 2016. Ses mots portent encore.
- par
- Simon Meier
C’était le 28 juin 2016, entre la fin des 8es de finale et le début des quarts de l’Euro, en France. Just Fontaine nous avait accordé une demi-heure par téléphone, afin d’évoquer les Bleus et ce football contemporain qui n’avait déjà plus grand-chose à voir avec ce qu’il avait connu. Depuis son domicile toulousain, le meilleur buteur de la Coupe du monde 1958 (13 buts) s’était montré extrêmement cordial et gouailleur. Après l’annonce de son décès, ce mercredi 1er mars à 89 ans, les mots du Monsieur sont remontés à la surface de nos souvenirs. Le discours n’a pas pris une ride. Il semble même éternel, à l’image de son fameux record réalisé lors du Mondial suédois. Voici l’interview parue à l’époque dans feu «Le Matin».
Just Fontaine, quand vous voyez les salaires des joueurs actuels et les filles qu’ils fréquentent, ne vous dites-vous pas que vous auriez mieux fait de naître cinquante ans plus tard?
C’est ce que tout le monde me dit: «Si tu jouais aujourd’hui, tu serais milliardaire.» Alors je réponds que je suis déjà milliardaire, comme ça on me laisse tranquille. Je n’ai pas à me plaindre, j’étais un des joueurs les mieux payés, à l’époque.
Votre plus haut salaire?
C’était au Stade de Reims: 250’000 par mois, en anciens francs (ndlr: 3000 euros). J’ai aussi eu l’occasion de toucher quelque chose plus tard, avec le procès, quand le PSG m’a foutu dehors (ndlr: il en fut l’entraîneur de 1973 à 1976). Leur principal grief, c’était que je jouais aux cartes avec les joueurs. Donc non, je ne suis pas jaloux des footballeurs. En tant que fondateur et président de leur syndicat, j’ai contribué à l’amélioration de leur situation.
Tous ces buts que la France n’a pas mis depuis le début du tournoi, les auriez-vous marqués?
Ce n’est pas particulier aux Bleus. Personne ne marque beaucoup dans cet Euro. Après quatre matches, les meilleurs buteurs (ndlr: Bale, Morata et Griezmann) sont à trois buts. Moi, en 1958, j’en avais déjà mis huit.
Ça veut dire quoi?
Ça veut dire que nous, on jouait l’attaque.
Elle vous fait rêver, la France de Didier Deschamps?
Tant qu’elle gagne et qu’elle joue à peu près bien, ça va. Mais elle a tendance à rater ses premières mi-temps. Dimanche contre l’Islande, il ne faudra surtout pas penser que ce sera facile, comme l’ont fait les Anglais. Je me méfie.
Les Bleus peuvent-ils aller au bout?
Ils vont passer le quart, enfin j’espère. Mais contre l’Allemagne ou l’Italie en demi-finale, sur ce que j’ai vu, ils auront des problèmes.
Quel est le joueur actuel dans lequel vous vous reconnaissez?
J’aime bien Olivier Giroud. J’apprécie son bon jeu de tête, son côté très collectif. Au milieu, j’aime Matuidi et Pogba, quand il ne pense pas trop à faire ses râteaux.
Entre le football de votre époque et celui de 2016, quelle est la plus grande différence?
Tout le cinéma que les mecs font, surtout quand ils marquent. Moi, quand je marquais, je ne faisais pas trois ou quatre sauts périlleux – de toute façon, je n’étais pas assez souple. J’allais féliciter le passeur en lui faisant la bise et puis on regagnait le milieu du terrain. L’autre truc qui me rend fou, c’est le changement de la 89e pour perdre du temps. Et puis le type qui se touche le cœur devant les supporters et qui, une semaine après, est transféré dans un autre club. Tout le monde a l’air de trouver ça normal. Moi pas.
Que pensez-vous de la tactique et de tous les débats qu’elle suscite dans les vestiaires comme au bistro?
La tactique, c’est des conneries. En 1959, quand Raymond Kopa est revenu à Reims, il voulait reprendre le poste d’avant-centre, que j’occupais moi – Piantoni s’en mêlait aussi. J’ai accepté de prendre le No 7 d’ailier droit pour calmer tout le monde. Mais le fait est que j’ai continué à jouer de la même manière, en piquant au centre. Donc la tactique, vous savez… Il faut que les types courent pour les autres.
Contrairement à celle de joueur, votre carrière de sélectionneur, au printemps 1967, a été peu brillante…
Cela s’était très mal passé avec les dirigeants de la Fédération. J’entraînais gratuitement, mais, comme j’étais aussi président du syndicat des joueurs, je ne pouvais pas m’entendre avec eux. Il y a eu deux matches, deux défaites dont une contre l’URSS championne d’Europe en titre, où on menait 2-1 à la mi-temps. Si vous aviez vu la gueule des dirigeants de la Fédé: ils voulaient qu’on perde pour que je me fasse virer.
Sélectionneur national, c’est un peu comme Premier ministre, non?
Dans les deux cas, on affronte des difficultés. En foot comme en politique, les supporters ne sont pas contents quand les choses ne vont pas. Je préférerais quand même être à la place de Didier Deschamps qu’à celle de Manuel Valls. Je ne sais pas comment on va régler tout ça, mais ce pays ne va pas très bien.
On vous reconnaît encore dans la rue?
Oui et j’en suis fier. Quand on ne me demandera plus d’autographes, c’est qu’on aura oublié les vieux cons.
Racontez-nous votre vie d’aujourd’hui…
Je suis à la retraite depuis dix-sept ans, mais j’ai encore mes deux boutiques Lacoste. Je vis à Toulouse, avec mon épouse, on ne peut pas dire qu’on est malheureux. On est commerçants, j’ai un garçon et une fille qui m’ont donné cinq petits-enfants: une fille et quatre garçons, dont un est ingénieur en je ne sais pas quoi à Barcelone.
Et le 14 juillet 2013, vous avez été fait officier de la Légion d’honneur, avec Line Renaud, Edith Cresson, Michel Bouquet ou Albert Uderzo…
C’est une grande fierté. Mais il y a un problème: comme ils m’ont donné le prix avec trente ans de retard, si je veux être commandeur, il faudra aussi que je batte le record de Jeanne Calment (ndlr: décédée à 122 ans).