FootballPortrait-robot d’un sélectionneur suisse à l’Euro
Le poste de Murat Yakin est plus en danger que jamais. Si les dirigeants de l’ASF décident de se séparer de lui, ils ne doivent pas se tromper sur le profil de son successeur.
- par
- Valentin Schnorhk Bucarest
Il y a la forme. Une analyse pointue, une discussion claire, le droit à la défense pour Murat Yakin. Cela fait partie du processus helvétique. Et puis, il y a le fond. Le destin du sélectionneur est sans doute quasi scellé.
Sans le dire textuellement, Pierluigi Tami, le directeur des équipes nationales, a trahi son sentiment d’une équipe de Suisse qui a régressé, qui n’est plus accompagnée pour aborder l’Euro 2024 avec sérénité. Il n’y a probablement plus que Dominique Blanc, le président de l’ASF, qui puisse sauver la tête de Yakin.
S’il propose de se séparer du technicien, Pierluigi Tami devra aussi présenter ses propositions. Il ne peut pas arriver sans profil de successeur, sans nom de prétendants pour assurer la suite. Sans préaccord, peut-être même.
C’est le rôle du Tessinois d’anticiper. Peut-être l’a-t-il déjà pensé, voire pris des contacts. Dans le pire des cas, il doit en tout cas avoir défini un portrait-robot du futur sélectionneur idéal. En voici une ébauche.
Il est légitime
Manuel Akanji est l’un des hommes de base de Pep Guardiola. Granit Xhaka est dirigé par Xabi Alonso au quotidien, après avoir côtoyé Mikel Arteta. Yann Sommer s’est fait à la précision de Simone Inzaghi, quelques mois après avoir appliqué les consignes de Julian Nagelsmann et de Thomas Tuchel. Remo Freuler découvre Thiago Motta, alors que Noah Okafor tente de convaincre Stefano Pioli et Zeki Amdouni de suivre les préceptes de Vincent Kompany.
En équipe nationale, ce beau monde a dû se mettre au diapason de Murat Yakin. Et même si celui-ci a obtenu d’excellents résultats en club il y a une décennie, il s’était réhabitué au petit monde de la Challenge League. La différence d’exigence s’est révélée trop importante. L’équipe de Suisse a besoin d’un sélectionneur légitime internationalement parlant.
Un nom, peut-être. Ou en tout cas un homme qui s’est confronté aux joutes du très haut niveau récemment. Ou, à défaut, qui fasse en sorte de suivre les idées de ses cadres, histoire de les avoir dans la poche. Le bien-être de l’équipe de Suisse aujourd’hui passe par une alliance de circonstances entre un entraîneur et les joueurs. On a déjà trop vu ce que donnait la confrontation.
Il a une philosophie de jeu proactive
À la source des problèmes, il y a aussi la question de l’approche. Le fait de passer à une défense à quatre, d’avoir un projet de jeu plus réactif qu’autre chose, d’aimer défendre de manière prudente plutôt que de presser n’importe quel adversaire. Les premiers accrocs viennent de là. Les premières «décisions» des cadres pour appliquer un autre plan de jeu que celui prôné par son sélectionneur (notamment à la mi-temps de Suisse-Espagne en juin 2022 à Genève) furent de cet ordre.
Il ne s’agit pas forcément de reproduire le jeu que prônait Vladimir Petkovic. Mais au moins de donner le sentiment que cette équipe nationale peut imposer ses idées, qu’elle se crée des automatismes de façon à lui donner une identité claire. Et donc, qu’elle soit capable de dominer outrageusement les adversaires inférieurs à elle. L’adaptation doit être ponctuelle et microtactique. Pas constante.
Il a une bonne image
Rarement un sélectionneur de l’équipe de Suisse n’aura fait converger autant de rejet que Murat Yakin ces derniers mois. C’est un argument que doit prendre en compte l’ASF, même si certains de ses dirigeants devaient croire que Yakin peut encore tirer quelque chose de cette sélection. Car la fédération ne joue pas que sur le tableau du sportif.
En juin, l’ASF perdra le soutien de Credit Suisse, son sponsor principal. Cela représente un apport de plusieurs millions de francs annuels. Le devoir de la fédération est donc de trouver un nouveau partenaire aussi important ou presque. Mais pour être convaincante, l’image de l’équipe nationale A joue un rôle important. Et, par conséquent, de son sélectionneur.
Si Murat Yakin avait le bon profil au départ, se pliant volontiers au jeu du marketing et des spots publicitaires, il a perdu tout crédit et difficile d’imaginer une marque s’associer à son image. L’ASF a besoin d’un profil qui rassemble.
Il est abordable
De fait, le choix que fera la fédération devra être raisonnable. Parce qu’elle perd des sous. En 2022, elle a accumulé 2,37 millions de francs de pertes, malgré sa participation à la Coupe du monde. Elle ne pourra donc pas casser sa tirelire, comme lorsqu’elle avait engagé Ottmar Hitzfeld en 2008 pour plus de 3 millions de francs annuels.
D’autant plus que si elle se sépare de Yakin, elle devra le dédommager, puis investir pour engager un nouveau sélectionneur. Il semble donc illusoire de se tourner vers un grand nom étranger.
Quels profils collent?
Au vu de ce portrait-robot, l’éventail de choix auquel risque de faire face l’ASF n’est pas sans limite. Elle recevra sans doute une pile de candidatures venues d’un peu partout dès lors qu’il sera clair qu’elle ne veut pas aller avec Murat Yakin à l’Euro.
La question qui se posera sera de savoir pour quelle période elle veut s’engager: pour l’Euro seulement, ou à plus long terme? Cela peut réduire la liste des prétendants.
En Suisse, des noms comme ceux d’Urs Fischer (mais sa philosophie de jeu défensive est-elle compatible?), Alain Geiger (est-il légitime?), Marcel Koller (peut-il quitter son poste en Égypte?) ou Mauro Lustrinelli (il est à Thoune, en Challenge League) seront sûrement mentionnés. Celui de Lucien Favre est rêvé, mais en a-t-il seulement l’envie?
Et à l’étranger, y a-t-il des bonnes idées à avoir? Le nom de l’ancien entraîneur du FCZ, l’Allemand André Breitenreiter, court aussi. Peut-être que, même s’il est sous contrat à Young Boys, celui de Raphaël Wicky rassemble le plus d’arguments.
C’est maintenant la tâche de l’ASF de faire le meilleur choix possible.