En musique en 2022, c’est «Ephémère» qui restera

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InterviewEn musique en 2022, c’est «Éphémère» qui restera

Gaël Faye, Ben Mazué et Grand Corps Malade ont uni leurs voix et leurs talents sur sept titres. Notre coup de cœur de l’année.

Laurent Flückiger
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Laurent Flückiger
De gauche à droite: Gaël Faye, Ben Mazué et Grand Corps Malade.

De gauche à droite: Gaël Faye, Ben Mazué et Grand Corps Malade.

YANN ORHAN

«Éphémère», c’est le pouvoir des trois dans «Charmed», le coup du chapeau au football, les trois ténors de 2022 et, puisque c’est Noël, les trois Rois mages. «Éphémère», c’est le nom d’un projet et d’un EP de sept titres derrière lesquels on retrouve trois artistes français de grande classe. Il y a deux ans, on disait tout le bien qu’on pensait de l’album «Paradis» de Ben Mazué; Gaël Faye a, lui, donné le meilleur concert du dernier Paléo; enfin, Grand Corps Malade ne nous a jamais déçu, et ça se vérifie encore depuis qu’il a Mosimann à ses côtés.

Vous l’aurez compris: Ben Mazué, Gaël Faye et Grand Corps Malade unissent leurs forces dans «Éphémère», notre coup de cœur de l’année. Les trois nous expliquent la genèse de cette performance qui se traduira par trois concerts les 10, 11 et 12 mars 2023 à la salle Pleyel, à Paris.

Quelles ont été les réactions quand vous avez annoncé la naissance de ce supertrio?

Grand Corps Malade: On a entendu des choses très élogieuses et très gentilles. On a compris qu’on avait certainement tous les trois en commun une partie de notre public, parce que notre alliance était cohérente pour lui, comme elle l’était pour nous.

Ben Mazué: Pour Grand Corps Malade, je comprends. Mais pas du tout pour Gaël Faye. (Rires.)

En 2021, vous êtes tous les trois nommés à la Victoire de la musique de l’album de l’année – qui sera remportée par Benjamin Biolay. C’est de là qu’est née l’idée de vous réunir les trois?

Gaël Faye: Non, c’est bien plus tard et ce n’est pas lié. Mais cette soirée était particulière pour nous, parce qu’on se connaît depuis longtemps et on se retrouvait dans la même catégorie. Un jour, Fabien a créé un groupe WhatsApp – ça s’appelait «Dinguerie» – et nous a proposé l’idée de nous réunir. On a tout de suite été emballé.

Qu’est-ce qui a fait que vous vous connaissez depuis longtemps?

G. C. M.: Gaël et moi, on s’est rencontré sur les scènes slam qu’on fréquentait, en 2004 déjà. Gaël et Ben, c’était en 2012, alors qu’ils jouaient l’un après l’autre sur la même scène. J’ai connu Ben en 2013 lors d’un festival à la montagne à Risoul.

B. M.: C’est seulement depuis deux ans qu’on a commencé à se voir tous les trois. Mais je me souviens très bien de la première fois où j’ai vu Fabien sur scène. La tarte que j’ai prise! Il y avait de l’émotion, de la gentillesse, de l’intelligence, du rire de la joie. Je me suis dit: je veux savoir faire ça.

G. C. M.: Il ne me l’a jamais dit. Je suis très touché.

B. M.: Les blagues étaient très drôles. La première rencontre musicale que j’ai eue avec Gaël, c’est son album «Pili Pili sur un croissant au beurre» (2013). J’ai tellement aimé ce disque, je l’écoute encore, c’est un classique. Aujourd’hui, c’est très particulier de faire de la musique avec des gens qu’on admire autant. Mais ça ne nous a pas freinés.

Vous avez passé une semaine tous les trois en Provence, aux studios La Fabrique, pour enregistrer l’EP «Éphémère». Comment ça s’est passé?

B. M.: C’était génial. Quand on est en tournée, on est dans une sorte de tourbillon. Là, c’était une décélération, on s’est retrouvé pour composer. Avant cette semaine, on avait toujours beaucoup de choses à dire. Et comme dit Gaël: quand on a beaucoup de choses à dire, c’est qu’on n’est pas loin d’écrire une chanson.

G. F.: On était dans le cadre idéal parfait – merci à toute l’équipe de Fabien. Si on n’arrivait pas à faire de la bonne musique dans ces conditions, je ne sais pas ce qu’il nous fallait. Il y avait Mosimann, qui travaille avec Fabien, et Guillaume Poncelet, avec qui Ben et moi avons l’habitude de collaborer, et on avait des super ingés son. On était ensemble à toute heure du jour et de la nuit, ça ne s’arrêtait jamais. Et sans pression. J’aimerais être dans ce mood pour mon prochain disque.

Il y a un titre où Ben Mazué fredonne une mélodie qui devient une chanson. C’était votre manière de travailler?

G. C. M.: Il n’y avait pas de règles. Chaque chanson est née d’une manière différente. À partir d’une phrase, comme celle de Ben: «Je vois des images sous mes paupières». On a adoré l’idée et chacun a écrit son couplet. Ou à partir d’une musique, d’une histoire. D’autres fois, c’est une écriture commune.

B. M.: Et on n’a rien jeté. C’est rare. D’habitude, je jette plein de choses.

«C’est l’écriture qui nous réunit les trois. Même si la musique est très importante, on met toujours le texte au premier plan»

Gaël Faye, artiste

Qu’est-ce qui vous réunit les trois?

G. F.: L’écriture. Même si la musique est très importante, on met toujours le texte au premier plan, c’est ce qui nous définit.

Comment avez-vous réussi à trouver un univers musical commun?

G. C. M.: On le doit en grande partie à nos deux compositeurs. On imaginait que leur collaboration serait intéressante, car Mosimann est plus sur l’electro et la programmation, Guillaume sur le son organique, sans oublier qu’il est un excellent pianiste et trompettiste. L’univers musical s’est construit assez naturellement. Avec ces deux aux manettes, on savait qu’il y aurait des morceaux assez rythmés et que ce serait très mélodique. Au final, il y a du piano voix, de l’a cappella qui finit en gospel, des titres davantage construits comme des chansons.

Parlons des textes. Qui a amené quel thème?

B. M.: Moi, en général, j’adore parler de l’âge. Gaël, c’est l’exil, le voyage.

G. C. M.: On retrouve le temps qui passe sur l’ensemble de mes albums. Sans que ça m’obsède, c’est un élément poétique génial.

Dans la chanson «La cause» sur l’engagement politique, vous dites que parler, comme se taire, c’est une position. Comment faire?

G. F.: C’est au cas par cas. Il n’y a pas véritablement de réponse dans cette chanson. J’ai écrit ce couplet pour me poser encore plus de questions.

G. C. M.: On fait comme on peut, avec l’envie ou la légitimité du moment. Des fois, on se dit qu’il faut se positionner sur une cause, des fois pas, on n’y a pas notre place. Tout ça avec cette pression – le mot est peut-être un peu fort – du public ou des journalistes qui vont nous dire qu’on a de toute façon pas la bonne position. Tous les trois on a des avis plutôt différents. Ben est un peu moins engagé que Gaël et moi, mais on est bien conscient qu’il n’y a pas de bonne réponse.

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