FootballLugano, ce challenger qui ne ressemble à aucun autre
Troisièmes, les Tessinois se sont mêlés à la lutte pour le titre en Super League. Décryptage d’un projet de jeu ambitieux qui porte ses fruits pour l’équipe de Mattia Croci-Torti.
- par
- Valentin Schnorhk
C’est un petit peu de la faute de Young Boys et Servette. Ils ne peuvent s’en vouloir qu’à eux-mêmes si Lugano est revenu dans la course au titre. Et qu’il s’est proclamé comme challenger assumé: «Si YB et Servette font des faux pas, nous devons montrer que nous sommes là», avait lâché il y a dix jours Mattia Croci-Torti à la RSI.
Le fait est qu’après 31 journées, les Tessinois sont 3es de Super League, à 6 points des Bernois et à un seul des Genevois. Et puisque tout devra se jouer avec des confrontations directes dans le «Championship Group», l’espoir est légitime. Malgré une saison en dents de scie, avec une 8e place après 14 journées et un 5e rang à la trêve, Lugano revient au moment où il est toujours fort: le printemps.
La patte Croci-Torti
Quand arrive la Coupe de Suisse, dont il reste sur un sacre en 2022 et une finale en 2023, avec une demi-finale à jouer contre Sion le 27 avril, quand se joue une saison, c’est là que les Luganais savent à chaque fois être présents. C’est en tout cas la marque qui leur est imprimée par leur entraîneur Mattia Croci-Torti depuis deux ans et demi.
Car ce Lugano, c’est surtout le Lugano d’un coach. «Crus», comme on l’appelle outre-Gothard, a donné une identité à son équipe. L’homme qui fête ses 42 ans ce mercredi est peut-être le meilleur entraîneur du pays actuellement. La constance de son travail à la tête des Bianconeri lui permet en tout cas de revendiquer ce titre honorifique.
Surtout, avec Croci-Torti, Lugano s’est défait des présupposés qui lui étaient historiquement attachés: l’équipe qui ne se définissait qu’à travers sa compacité défensive et son attentisme n’existe plus. Au contraire, Lugano est peut-être l’équipe la plus proactive de Suisse, ou du moins celle qui a le jeu le plus complexe. En tout cas, aucune autre ne lui ressemble vraiment.
Imprévisible et flexible
Ce Lugano a la particularité d’être imprévisible. Dans le système de jeu choisi, dans la façon dont il va démarrer ses actions, dans les joueurs qui vont être choisis et dans les profils qui vont être sélectionnés aux différents postes. Par exemple, lorsqu’il opte pour un système à trois défenseurs, Croci-Torti peut aussi bien choisir d’animer le couloir gauche avec le latéral gaucher Martim Marques ou avec l’ailier droitier Hicham Mahou. Quand ce n’est pas un autre.
En fait, tout est très fluide avec ce Lugano. Et l’adaptation est permanente, action après action. Une flexibilité assumée. Même s’il y a des principes qui reviennent régulièrement. Le premier, c’est l’ambition de contrôle. En Super League, Lugano est l’équipe qui effectue le plus de passes et aussi celle qui en réussit la plus grande proportion. Les Tessinois comptent sur des profils fins techniquement, à tous les postes. À commencer par le gardien Amir Saipi, qui relance essentiellement court.
L’idée de maîtrise se concrétise par une progression patiente. Elle part souvent d’une base de trois défenseurs et deux milieux, mais elle peut se transformer quand le pressing adverse est passif: alors le central droit Lukas Mai peut se décaler sur la largeur et permettre à l’extérieur droit de se projeter. Ou il arrive alors que le défenseur central (Ousmane Doumbia sur ces derniers matches) grimpe un cran plus haut.
L’objectif? Fixer l’adversaire à l’intérieur du jeu pour ensuite trouver un décalage sur le côté, en faisant «glisser» la balle de manière relativement fluide ou en optant pour une diagonale bien sentie pour renverser complètement le jeu. C’est ensuite dans le dernier tiers que le talent des joueurs offensifs s’exprime: avec Zan Celar (12 buts) et Renato Steffen (13 passes décisives), entre autres, Lugano peut compter sur de sacrés atouts aux abords de la surface.
Ce n’est d’ailleurs peut-être pas tout à fait un hasard si Lugano surperforme au niveau statistique et marque beaucoup plus que ce qu’il ne le devrait. Avec le talent qu’il possède aux postes avancés, il peut faire des différences qui ne vont pas de soi.
Le pari de l’individuel
Sans ballon aussi, Lugano a bien changé depuis trois ans. Cela fait déjà un petit moment que les Bianconeri essayent le plus souvent de défendre haut. Pas forcément avec intensité, ce n’est pas tant leur caractéristique première. Le pressing déployé n’est pas fait de courses hyper rythmées et agressives comme cela peut être le cas à YB, à Saint-Gall, à Lausanne ou parfois à Servette.
Le principe que suit Croci-Torti est celui d’un marquage individuel, sur tout le terrain. Autrement dit, chaque joueur se fixe sur un adversaire et le suit, quitte à accepter l’égalité numérique dans toutes les zones du terrain, et parie sur un duel gagné. Cela impose aux adversaires de réfléchir leur construction, de créer de l’incertitude par les courses et donc de potentiellement se désorganiser. Alors Lugano espère en profiter à la récupération.
C’est un pari, une approche qui est teintée par ce qui se fait beaucoup dans le football italien. Et ce n’est sans doute pas tout à fait un hasard qu’il existe au Tessin, où l’intérêt pour la Serie A est toujours très prégnant. Mais si Lugano devait aller au bout de son rêve, c’est le Calcio qui pourrait finir par regarder attentivement ce qui se passe au Cornaredo. Et notamment jeter son dévolu sur son entraîneur.