Quand les séries télé s’emparent de l’urgence climatique

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TélévisionQuand les séries télé s’emparent de l’urgence climatique

Les séries catastrophes sur l’écologie se multiplient. «Extrapolations» et «Abysses» sont déjà disponibles. Ont-elles le pouvoir de sensibiliser le grand public?

Christophe Pinol
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Christophe Pinol

La fiction peut-elle changer le monde? Une série ou un film sont-ils capables de nourrir la conscience collective et nous aider à réaliser l’urgence climatique qui agite la planète? C’est en tout cas le pari que font aujourd’hui de plus en plus de séries, chacune tentant, à sa manière, de sensibiliser les téléspectateurs à une probable catastrophe écologique.

À commencer par deux solides œuvres d’anticipation qu’on a vu débuter la semaine passée: «Extrapolations», superproduction américaine à suivre sur Apple TV++, et «Abysses», coproduction internationale disponible sur Play Suisse.

La première décrit la progression du changement climatique de la planète en huit volets dont la narration s’étale entre 2037 et 2070. Le tout sous forme d’anthologie, avec des épisodes dont la trame est interconnectée mais où chacun est consacré à un personnage différent et à un événement lié au réchauffement de notre planète (incendies, pollution, inondations…). Et pour appuyer la portée de son propos, la série s’est entourée d’un casting 5 étoiles: Meryl Streep, Kit Harrington, Forest Whitaker, Marion Cotillard, Edward Norton, Tobey Maguire, Tahar Rahim…

Les animaux marins prennent leur revanche

Avec la seconde, «Abysses», il est question d’une force mystérieuse venue du fin fond de l’océan, réveillée par des années de pollution, qui semble utiliser les créatures marines pour déclarer la guerre à l’humanité. Tandis que des baleines et des orques attaquent des bateaux en Norvège, des homards sont les vecteurs d’une étrange maladie sur les côtes françaises, où Cécile de France, notamment, veille au grain… Cette ambitieuse coproduction internationale entre la France, l’Allemagne, l’Italie, le Japon… et la Suisse est tirée du roman «L’essaim», de l’allemand Frank Schätzing. «L’accent a beau être mis, au début, sur une présence maléfique, on y apprendra en fin de compte que c’est bien l’homme, et son comportement délétère vis-à-vis de la nature, qui est le véritable monstre de cette histoire», précisait la semaine passée le producteur Frank Doelger («Game of Thrones»), au festival Series Mania de Lille, où la série était projetée.

On y trouvait d’ailleurs deux autres feuilletons surfant également sur cette thématique de dérèglement climatique. D’abord «The Fortress», qui décrit une Norvège ayant décidé de se couper du monde, face aux catastrophes naturelles et aux vagues migratoires, en dressant un gigantesque mur le long de ses frontières. Jusqu’au jour où une épidémie dévastatrice frappe à sa porte… Mais aussi «A Thin Line», série allemande qui questionne le terrorisme climatique à travers l’histoire de jumelles hackeuses, dont l’une va se radicaliser. Si la diffusion de la première dans nos contrées n’a pas encore été précisée, la seconde est attendue prochainement sur Paramount+.

Il avait déjà prédit la pandémie avec «Contagion»

Plus de doute: le sujet de l’urgence écologique est donc bien au centre de toutes les préoccupations. Le créateur et réalisateur d’«Extrapolations», Scott Z. Burns, n’en est d’ailleurs pas à ses premiers pas dans le domaine puisqu’il avait déjà produit en 2006 le documentaire oscarisé d’Al Gore, «Une vérité qui dérange», saisissante démonstration du réchauffement climatique.

«Extrapolations» débute en 2037, alors que les dirigeants mondiaux se retrouvent à la COP42, à Tel-Aviv. Les militants ont beau ici scander leurs slogans sous forme d’hologrammes, leur discours reste similaire à celui d’aujourd’hui: «Limitez la hausse globale des températures sous les 2° ou l’humanité est perdue!» Sauf que cette fois, la menace est bien plus tangible: les feux de forêts sont partout, la pénurie d’eau potable est mondiale, Miami est sous les eaux, les espèces animales disparaissent les unes après les autres et les réfugiés ne sont plus politiques mais climatiques… Une série coup de poing et terriblement angoissante parce qu’elle dresse un tableau complet des craintes qui nous animent aujourd’hui et joue avec notre écoanxiété de manière très crédible.

Et il suffit de rappeler que le showrunner d’«Extrapolations» a également signé le scénario de «Contagion», le film de Steven Soderbergh dont on avait pu réévaluer le saisissant réalisme à l’aune de la pandémie de COVID-19, pour porter une attention toute particulière à ses «prédictions».

La dystopie pour sensibiliser

Reste à savoir si le genre dystopique est un bon outil de sensibilisation pour propager le message de l’urgence écologique… Oui, répondait la réalisatrice norvégienne de «The Fortress», Cecilie Mosli, au festival Series Mania. «Surtout à l’heure où beaucoup restent dans le déni. Les politiciens norvégiens qui nient le dérèglement climatique sont les mêmes qui ne veulent plus accueillir d’émigrés, dont les flux augmenteront vers le nord avec le réchauffement». De son côté, Matthew Rhys («The Americans»), également au casting d’«Extrapolations», confiait au site Screen Rant voir en celle-ci de l’espoir: «Il y a des choses que nous pouvons encore faire. On a une chance de se racheter en tant que race humaine. De petits pas peuvent mener à de grandes choses».

Dans «Le Parisien», la climatologue Françoise Vimeux jugeait d’ailleurs la fiction de Scott Z. Burn «scientifiquement étayée». Mais aussi «un peu trop apocalyptique». Car c’est également son manque de subtilité qui est pointée du doigt, avec des politiciens et des géants de la tech dépeints de façon trop caricaturale. «The Independant» accusait ainsi la série d’être «lourdement condescendante, sensationnaliste et écœurante de moralisme jusqu’à l’indigestion». La critique est certes un peu rude mais il y a un peu de ça.

«Serais-je encore là en 2059?»

La série a au moins le mérite de questionner le spectateur, de le forcer à se projeter dans chacun des épisodes: «Serais-je encore de ce monde au 3e volet, en 2047? Et au suivant, en 2059? Probablement pas, mais quid de mes enfants?»… Total, à l’issue du visionnement de cette première saison, il y a peu de chance que les spectateurs continuent à garder le robinet ouvert en faisant la vaisselle ou à laisser la lumière allumée en quittant une pièce. En même temps, qui n’a pas encore adopté ce type de réflexes? C’est un peu le souci de la série: en enfonçant les portes ouvertes, elle prend le risque de ne prêcher qu’aux convertis.

«Abysses» joue d’ailleurs un peu sur le même registre. Son producteur, Frank Doelger, expliquait néanmoins au festival lillois avoir tenu à changer la fin du livre, qu’il trouvait «très sombre et dénuée d’espoir pour le futur». «L’émotion autour des crises tend à se dissiper si on ne propose pas aux gens des solutions pour agir».

«Je rêve de récits positifs»

C’est exactement le discours que tenait le réalisateur français Cyril Dion, toujours à Series Mania. Rappelez-vous, en 2015 il avait coréalisé avec Mélanie Laurent le formidable documentaire «Demain», qui montrait comment des citoyens, aux 4 coins du monde, se battaient pour éviter les crises écologiques, économiques et sociales annoncées. «Les scénaristes ont une responsabilité dingue lorsqu’ils écrivent une série d’anticipation, expliquait celui qui prépare justement sa propre fiction sur le sujet pour France Télévisions. Parce que si on montre un horizon sans cesse bouché et dystopique, on s’installe dans une prophétie autoréalisatrice. Au-delà du côté sidérant, montrer la catastrophe redoutée finit par nous convaincre que le futur ressemblera à ça. Pour ma part, je rêve de récits positifs montrant des gens qui s’entraident pour trouver des solutions».

En attendant, les 4 séries dystopiques évoquées assurent toutes avoir tenté de limiter au mieux leur empreinte carbone durant leur production. Car on n’en parle pas assez mais les tournages aussi polluent. «On a notamment fait d’immenses efforts pour limiter les déchets sur le plateau, expliquait Scott Z Burns dans le Hollywood Reporter, qui a travaillé avec le Green Spark Group, un organisme chargé de réduire les émissions de gaz à effet de serre des équipes de production. D’abord en utilisant des assiettes et couverts compostables et en distribuant des bouteilles d’eau réutilisables, mais aussi en sensibilisant toute l’équipe à travers des messages diffusés au quotidien sur le plateau».

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