US OpenCarlos Alcaraz et Jannik Sinner ont réinventé le tennis
L’Espagnol a finalement battu l’Italien en quart de finale, au terme de l’un des plus beaux matches de tous les temps.
- par
- Simon Meier New York
Ahurissant, phénoménal, insensé, stratosphérique… Les mutants étaient de sortie, mercredi soir à l’US Open, où Carlos Alcaraz (ATP 4) et Jannik Sinner (13) ont offert un spectacle sur lequel il est extrêmement compliqué de mettre des mots - faute de vocabulaire disponible, onomatopées comprises. Si l’Espagnol a fini par s’imposer face à l’Italien, au terme d’un chef-d'œuvre qu’on n’oubliera jamais, c’est surtout le tennis qui a fêté la plus jouissive et extatique des victoires. Oui, tous les amoureux du jeu peuvent définitivement souffler et, d’ores et déjà, piaffer: avec ces deux-là et ceux qu’ils forceront à essayer de les suivre, on est tranquilles pour un moment.
Puisqu’il faut bien donner le score d’un match, le voici: 6-3, 6-7 (7), 6-7 (0), 7-5 6-3. Même si les chiffres ne raconteront jamais la splendeur et l’intensité de cette folie, en voici trois autres: 5h15’. C’est le temps qu’aura duré la métamorphose du jeu tennis, car c’est bien de cela qu’il s’agit. Les deux géniaux gladiateurs ont pour ainsi dire inventé un nouveau sport sur le plus grand court du monde. Résumé en cinq actes de ce qui fut sans doute l’un des plus grands matches de tous les temps - si on ne s’emballe pas sur ce coup-ci…
1er set: Alcaraz en trombe
Mené 3-2 - non sans avoir breaké d’entrée - après une demi-heure de baston intégrale et un 5e jeu dantesque, Carlos Alcaraz a réalisé la meilleure entame. Irrésistible de puissance et de précision, d’agressivité et de finesse, l’Espagnol de 19 ans a dérobé le pourtant redoutable service de l’Italien à deux autres reprises pour aligner les quatre derniers jeux de la manche. Le décor était planté, les acteurs déjà exceptionnels.
2e set: la réplique de Sinner
Exposé aux improbables coups de boutoir du No 4 mondial, Jannik Sinner n’a pas tardé à comprendre qu’il lui faudrait élever le niveau de son jeu à des altitudes inédites. Alors il l’a fait, signant un break au troisième jeu, notamment grâce à un énormissime coup droit gagnant. Solide comme un roc, multipliant les coups de génie histoire de répondre à ceux de son adversaire, l’Italien a tenu son engagement jusqu’au moment de servir pour le set, à 5-4. C’est à ce moment, selon un scénario annonciateur de l’improbable suite, qu’Alcaraz a trouvé le moyen d’élever encore la cadence. Le prodige de Murcie a même gagné dix points de suite pour mener 6-5 et 0-40 sur le service de son adversaire, alors dans les cordes.
Mais Sinner sauvera les trois balles de set avant de concéder l’un des points les plus fous du match - et dieu sait s’il y en eut. A la dérive dans l’échange, Alcaraz a remis une balle impossible dans son dos pour conclure ensuite d’un passing de revers magistral, après une course vers l’avant non moins dingue. L’Espagnol gauffre sa 4e balle de set dans le filet. Direction le tie-break, dont le niveau se passe de commentaire. Sinner l’emporte au bout - rires - du suspense en signant un phénoménal retour gagnant (9-7).
3e set: toujours plus fou
Là où on attendait un éventuel coup de mou de la part d’un des deux gladiateurs à raquette après plus de 2 heures d’un tennis de fous furieux, les géniaux garnements croquent dans le gâteau de plus belle. Sur sa lancée, l’Italien remporte son service d’entrée, puis manque de dérober celui de son adversaire. Les deux hommes se rendent coup pour coup - et quels coups!
Les accélérations fulgurantes succèdent aux amorties improbables. Sinner sauve deux balles de break lors d’un 3e jeu qui ne veut rien dire - sinon merci la vie. Il faudra quatre nouvelles opportunités à l’Espagnol pour parvenir à breaker et mener 3-2, puis 4-2. Le No 13 mondial serait-il en train de flancher? Que nenni! Il s’empare à son tour de l’engagement adverse pour revenir à 4-4, puis reprend l’avantage suite à un jeu blanc (5-4). Alcaraz semble avoir laissé passer sa chance. Mais comme depuis le début du match, à chaque fois que l’un des deux donne l’impression de passer l’épaule, l’autre joue des coudes et du biceps. Après un nouvel échange de breaks, truffé de points dont on se demande d’où ils peuvent bien tomber, c’est reparti pour un jeu décisif. Sinner le survole (7-0).
4e set: bascule dans le surréalisme
Logiquement touché, Alcaraz donne la fugace impression de couler, puisqu’il perd à nouveau son service d’entrée. Mené 2-0, puis 3-1, le protégé de Juan Carlos Ferrero vacille. Mais jamais longtemps. Il égalise à 3 partout après 4h pile de jeu, la partie bascule dans une dimension toujours plus délirante. Le stade Arthur-Ashe s’est vidé en bonne partie, car il est 1h30 du mat’ passée à New York. Mais tous ceux qui sont restés versent dans la dinguerie la plus totale et ils ont bien raison.
Les deux joueurs, survoltés, exhortent la demi-foule à tour de rôle. Quand Sinner reprend le service d’Alcaraz puis se détache à 5-3, on se dit que les plus beaux films ont une fin. Ce ne sera pas pour tout de suite: dans un sursaut qu’on ne pensait plus possible, l’Espagnol sauve une balle de match et trouve son 153e souffle (environ) pour revenir de nulle part et arracher un dernier acte. Le surréalisme, lui, a déjà gagné.
5e set: puisqu’il fallait un vainqueur…
Le niveau de jeu baisse d’un chouïa tout en restant flamboyant. La magie émotionnelle du moment compense allègrement. Dans les gradins, c’est l’hystérie. Sur le court, les deux prodiges continuent à s’écharper dru et c’est Sinner qui réalise le premier break pour mener 3-2. Alcaraz répond du tac au bim. C’est l’ultime rebondissement.
Sans qu’on puisse dire que l’Italien a flanché, l’Espagnol se montre encore plus fort pour terminer comme un ouragan et conclure sur sa première balle de match. Il s’écroule sur le dos avant de recevoir l’accolade de son sublime protagoniste. Mais comment a-t-il donc fait? Lui-même l’ignore, comme il le dira au micro de Patrick McEnroe sur un court Arthur Ashe encore bouillonnant. Dans son box, Juan Carlos Ferrero a les larmes aux yeux. Tous les amoureux du jeu aussi. Vendredi en demi-finale, il affrontera l’Américain Frances Tiafoe. On continuera à appeler ça un match de tennis. Mais depuis cette nuit à cheval entre le 7 et le 8 septembre 2022, on se fera une nouvelle idée de la chose.