ImmigrationÉlisabeth Baume-Schneider dame le pion à l’UDC
Dans le débat extraordinaire sur l’immigration et l’asile ce mercredi, la Jurassienne a tenu bon face au déferlement des élus de l’UDC.
- par
- Eric Felley
Les Chambres fédérales ont procédé mercredi à une session extraordinaire consacrée à l’immigration et l’asile. Ce débat avait pour but de mettre les projecteurs sur des thématiques chères à l’UDC. Son président Marco Chiesa a ouvert les feux le matin au Conseil des États avec deux motions. L’une visait à introduire des contingents pour éviter une Suisse à 10 millions d’habitants et l’autre demandant que les procédures d’asile soient menées à l’étranger. Toutes les deux ont été refusées nettement: 28 à 9 et 30 à 8.
La conseillère fédérale Élisabeth Baume-Schneider n’a pas perdu son calme face à la situation catastrophique décrite par l’élu tessinois. Elle a rappelé que le peuple a refusé l’initiative populaire «Pour une immigration modérée» en septembre 2020 par 61,7% des voix et une majorité de 19,5 cantons: «Le corps électoral s’est notamment prononcé en faveur du maintien de la libre circulation des personnes dans le cadre de la voie bilatérale». Elle a précisé qu’en 2022, plus de la moitié des personnes arrivées en Suisse (52%) sont venues pour travailler et que 94% étaient européennes. Il n’y avait que 5% de demandeurs d’asile. Quant à l’idée d’externaliser les procédures d’asile à l’étranger, elle a contré cette proposition en évoquant les tentatives avortées du Danemark ou de la Grande-Bretagne.
Migration secondaire
Mais c’est au Conseil national qu’Élisabeth Baume-Schneider avait rendez-vous l’après-midi avec l’UDC. Ici, deux motions similaires à celles des États ont également été refusées par tous les autres groupes. Le Conseil national a cependant accepté une motion du PLR, qui demande au Conseil fédéral de lutter contre la migration secondaire irrégulière, c’est-à-dire la migration à partir d’un État considéré comme sûr et dans lequel le requérant d’asile a séjourné pendant une longue période: «Pour lutter contre la migration secondaire et l’endiguer, la Suisse doit collaborer étroitement avec l’étranger, en particulier avec l’Union européenne».
Collaborer avec l’Union européenne, c’est la politique voulue par Élisabeth Baume-Schneider. C’est aussi le sens d’un postulat du Centre accepté tacitement, qui enjoint le Conseil fédéral «d’évaluer dans un rapport les propositions de réforme du régime d’asile européen commun émises par les ministres de l’Intérieur de l’UE, les bénéfices et les risques qui en découlent pour la Suisse et quels éléments de cette réforme sont particulièrement importants pour notre pays».
«Au bord de l’effondrement»
Élisabeth Baume-Schneider a été la cible d’une multitude de questions de l’UDC. Tout y est passé: la Suisse à 9 millions d’habitants, les conséquences sur la criminalité, sur la pénurie de logement, sur les embouteillages, etc. «Nous sommes au bord de l’effondrement», a lancé Andras Glarner (UDC/AG). «Est-ce que nous voulons que des dizaines de milliers de réfugiés risquent leur vie sur la Méditerranée, s’est exclamé Gregor Rutz (UDC/ZH). (…) Le droit d’asile actuel ne tient plus le coup face au défi de la mondialisation. Notre ordre juridique est dépassé. Ce sont les flux migratoires que nous devons bloquer et stopper net le travail des passeurs».
Immigration et croissance
Dans ce débat fleuve et confus, le PLR a défendu sa ligne: «Sévère, mais juste» selon Andri Silberschmidt (PLR/ZH), tandis que la Vert’libérale Corina Gredig (VL/ZH) a parlé d’une politique «empreinte d’humanité et mais dans l’ordre du faisable». Céline Amaudruz (UDC/GE) a livré des chiffres sur l’augmentation de la population: il a fallu 27 ans pour arriver à 7 millions d’habitants en 1994, il a fallu 18 ans pour passer à 8 millions et «11 petites années pour atteindre les 9 millions, les 10 millions c’est demain!» Mais pour Marc Jost (PEV/BE), l’immigration est nécessaire à la croissance économique de la Suisse: «On a besoin de l’immigration dans une économie en pleine croissance, la croissance économique provoque la croissance démographique».
Pourquoi ces personnes partent-elles?
Fabian Molina (PS/ZH) a élevé le débat en présentant une situation mondiale très tendue en 2023: «110 millions de personnes ont dû quitter leur patrie à cause de la guerre, des persécutions ou de la crise climatique… La Suisse doit se montrer solidaire pour accueillir et aider les personnes qui ont droit à une protection» Nicolas Walder V (GE) a interpellé ses collègues sur les raisons de cette situation: «Pourquoi des personnes risquent-elles leur vie pour traverser une mer déchaînée en laissant leurs familles dans un pays qu’elles aiment? Pourquoi acceptent-elles les mauvais traitements et les humiliations qui leur sont infligés en Turquie, en Libye, à Lampedusa ou à Lesbos? Pourquoi supportent-elles les discours xénophobes et les discussions de vies spartiates qui leur sont imposés ici? Autant de questions, Mesdames et Messieurs, auxquelles il serait utile de répondre si nous voulons vraiment, ensemble et sérieusement, travailler à réduire cette migration forcée».
Pénurie de main-d’œuvre
«Les images de Lampedusa marquent les esprits, mais aussi les cœurs» a relevé Élisabeth Baume-Schneider. Mais sur l’évolution démographique de la Suisse, elle a rappelé que le Conseil fédéral soutenait la motion acceptée par le Conseil national qui veut promouvoir «une vision positive d’une Suisse à 10 millions d’habitants». Elle a cité la faîtière EconomieSuisse, qui estime que d’ici 2040, il manquera 431 000 personnes sur le marché du travail pour compenser le départ à la retraite des baby-boomers.
«Il faut donc garder à l’esprit un fait, a souligné la Jurassienne, l’immigration répond en grande partie à la demande des entreprises. Aujourd’hui, l’économie suisse est confrontée à une pénurie de main-d’œuvre dans presque toutes les branches. Dans ce contexte, la libre circulation des personnes avec l’Union européenne représente certes un défi significatif, mais elle contribue également, comme je l’ai dit, à la prospérité».
Pas d’amalgames
Les élus de l’UDC sont venus en nombre l’interroger à la tribune pour évoquer pêle-mêle les problèmes liés à la croissance démographique et l’immigration: réseau ferroviaire surchargé, taux de chômage plus élevé chez les étrangers, criminalité, aide sociale, intégration scolaire, réseaux de passeurs et soins dentaires. Élisabeth Baume-Schneider est restée stoïque en répondant à toutes ces questions orientées, et souvent teintées d’une bonne dose de xénophobie. Elle a relevé que sur ces questions il ne fallait pas faire «d’amalgames». Elle s’est montrée très consciente des enjeux de ce dossier complexe, que la Suisse ne pouvait résoudre seule.
D’une manière surprenante, le chef du groupe UDC, Thomas Aeschi (UDC/ZG) a fini par l’interpeller: «Madame la conseillère fédérale Baume-Schneider, vous voyez que les défis sont énormes avec cette ruée vers l’asile en Suisse. Êtes-vous prête à rejoindre notre groupe au quatrième trimestre et à poursuivre cette discussion?» Surprise par cette proposition inattendue, elle a répondu: «Oui, bien sûr, si vous m’invitez, je viendrai».