Thomas Dutronc: «Mon père a rajeuni de dix ans»

Publié

Montreux JazzThomas Dutronc: «Mon père a rajeuni de dix ans»

Jacques Dutronc et son fils tournent pour la première fois ensemble et vivent des moments de tendresse et de rigolade. Ils ont même enregistré à Chardonne (VD). Interview exclusive.

Laurent Flückiger
par
Laurent Flückiger

Interview: Laurent Flückiger Tournage et montage: François Melillo

Il est 20 h 35, le Stravinski s’éveille. Jacques Dutronc, 79 ans, est sur scène. Il fallait la complicité de son fils pour que cela arrive à nouveau. Thomas est là, guitare en bandoulière, pour chanter en duo, parfois seul aussi. Il dirige le concert tout en mettant son père en avant le plus souvent qu’il le peut. D’ailleurs, Jacques ne s’en sort pas mal du tout. Il a encore de la voix, que ce soit sur «J’aime les filles» ou «La fille du Père Noël». Ce qu’on aime aussi, c’est que les deux ne ratent jamais une occasion de faire une blague.

La tournée Dutronc & Dutronc a démarré au printemps (rattrapage en Suisse le 8 septembre au Chant du Gros, au Noirmont (JU), et le 12 novembre à l’Arena de Genève). Depuis, comme le dit Thomas, Jacques Dutronc prend de plus en plus de plaisir à venir chanter. Le fils, lui, profite avant tout de moments de complicité, revit des souvenirs d’enfance. Il a accepté de se confier sur cette relation peu avant son concert.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de partir enfin en tournée entre père et fils?

Nous avons fait un titre ensemble pour des bonus de Noël d’un de mes disques. Mon père a chanté avec moi. Puis, nous avons donné une interview – j’ai d’ailleurs halluciné qu’il fasse une interview. Le journaliste a demandé si on nous verrait bientôt sur scène tous les deux, et mon père a répondu pourquoi pas. Un tourneur a sauté sur l’occasion, nous avons monté une équipe de musiciens et nous avons commencé les répétitions. C’est un bonheur immense de partager la scène avec mon père. Et il y a aussi tous ces petits moments de vie que nous avons à côté. Comme la semaine que nous venons de passer en Suisse.

Ah oui? Où ça en Suisse?

Nous étions dans un hôtel magnifique sur les hauts de Vevey, le Mirador à Chardonne. Nous y avons travaillé sur l’album que nous sortons en novembre. Du coup, il sera franco-suisse. Nous avions deux chambres, un petit studio et je le faisais enregistrer une heure, une heure et demie par jour. Nous avons déjeuné, dîner ensemble tout le temps, nous nous racontons des trucs. Ce sont des moments de vie différents. Sinon je vais en Corse – j’habite à une demi-heure de chez lui – et je vais le voir de temps en temps. Là, c’est inestimable: il y a tellement d’amour, de tendresse et de rigolades entre nous. C’est du bonus.

Vous passez des moments père-fils mais ce sont aussi des moments entre artistes.

(Rires.) Je prends les choses en main, mais il assure. C’est très marrant de voir comme il travaille. Il faut y aller doucement avec lui. Il est partisan du moindre effort mais quand il se donne, c’est à fond. Il ne comprenait pas pourquoi nous répétions. Je lui disais que ce n’était pas pour perdre notre temps mais pour développer des finesses musicales. Il ne faut pas toujours l’écouter. Même s’il a aussi raison. C’est un partage. C’est tellement de plaisir à chanter ses titres, qui sont éternels, et quelques-uns des miens. Sur scène, pour le moment, il ne chante qu’un seul morceau à moi. Et cette semaine, j’ai réussi à lui en faire faire deux, trois supplémentaires. Je crois qu’il a peur de se mettre en danger, mais j’ai bon espoir qu’il en chante un autre.

«C’est aussi un peu grâce à ma maman que nous sommes là. Elle a poussé mon père à faire ce projet.»

Thomas Dutronc, musicien et chanteur

Qu’avez-vous découvert sur votre père durant cette tournée de concerts?

Plus que de découvrir des choses, je revis des souvenirs liés à l’enfance quand nous avions une vraie complicité. Même si nous ne l’avons jamais perdue, là elle redevient plus forte. Sur scène, cela m’est arrivé d’avoir les larmes aux yeux. Les gens m’ont dit qu’ils sentaient parfois un truc très fort entre nous. Avant les premiers concerts, nous avions une semaine pour répéter nos blagues et nos déplacements, et j’ai attrapé le Covid. Donc nous n’avons rien répété et tout ce qu’on se dit est assez naturel et improvisé, cela change tous les soirs. Des fois c’est hypertendre, des fois nous nous envoyons des piques. C’est très marrant.

Comment votre maman, Françoise Hardy, accueille ce projet?

C’est aussi un peu grâce à elle que nous sommes là. Elle a poussé mon père à le faire. D’ailleurs, elle l’a toujours poussé à travailler car elle savait que c’était bon pour lui. Et je trouve qu’il a rajeuni de dix ans, il est en pleine forme. Il se plaint tout le temps qu’il ne veut pas bosser. Je lui montre une photo où je l’ai pris en flagrant délit, où il est heureux d’être sur scène et de chanter. Il assure. Il a quand même 79 balais et ça impose le respect.

Comment avez-vous fait votre choix parmi toutes vos chansons?

C’est à peu près deux tiers les siennes, un tiers les miennes. Il y a tellement de chansons de mon père qu’on a tous dans notre tête, dans notre cœur, dans notre mémoire collective que je ne peux pas ne pas les faire. Et il y a quelques-unes de mes chansons que j’avais envie de jouer. Mais ça m’est égal, je ne voulais pas faire les comptes.

Ce sont de nouvelles versions des chansons de Jacques Dutronc?

Nous avons déjà sorti «L’opportuniste» que nous avons un peu modernisé. Puis, un peu vite fait «J’aime les filles», qui est bien mais qui sera peut-être la moins bien de l’album parce que mon père a eu le Covid et nous n’avons pas eu le temps de chanter autre chose. À la rentrée, il y aura une version d’«Aragon» sur laquelle il a posé sa voix, un «Gentleman cambrioleur» mortel. Nous sortons un disque live et un disque studio avec des morceaux qui n’auront pas été joués en concert, comme «Le responsable», qui envoie du steak. Nous travaillons aussi avec des ordinateurs, des samples, parfois, et des synthés qui amènent quelque chose de plus actuel mais nous gardons aussi un son sixties, un peu soul. Je trouve que ce qu’a fait mon père n’est pas du tout de la variété, et nous avons des musiciens, des pointures, qui permettent d’éviter que ça devienne de la variété.

«J’ai un projet mais il n’est pas au courant. À partir de mi-septembre, je vais réunir des copains et des chanteurs qui auraient envie de créer des nouveaux titres pour mon père ou pour mon père et moi.»

Thomas Dutronc, musicien et chanteur

Ensuite? Vous pensez déjà à un autre projet Dutronc père et fils?

J’ai un projet mais il n’est pas au courant. À partir de mi-septembre, je vais réunir des copains et des chanteurs – que je ne citerai pas – qui auraient envie de créer des nouveaux titres pour mon père ou pour mon père et moi. Nous allons essayer d’en faire quatre, ça serait comme à l’époque: un super 45 tours. S’il ne veut pas les chanter, je les garderai pour mon disque. C’est cadeau.

Et un film ensemble?

Je n’ai pas envie d’être comédien, ce n’est vraiment pas mon truc. J’aime trop la musique, j’aime trop l’ambiance. Sur les tournages, on attend mille ans, on est à la merci des réalisateurs. Mon père adore ça, il en a fait tellement. Mais j’ai toujours trouvé que quand on le voit lui dans sa vie, c’est nettement plus intéressant que le 90% des films qu’il a faits. Il y a beaucoup de gens qui sont comédiens et musiciens, mais moi je préfère essayer de travailler encore la musique. Je me concentre à fond sur ce projet avec mon père. On ne sait pas encore si nous allons jouer en 2023, je l’espère. (Rires.) Mon père n’a pas dit non et n’a pas dit oui. On pense tous qu’il va le faire parce qu’il se marre bien. Mais il a peur d’être trop âgé, d’être trop fatigué. Il dit que de toute façon en novembre il sera mort, des conneries comme ça.

Qu’est-ce que vous vous dites l’un à l’autre lorsque le concert est terminé?

Rien de précis. Chez les Dutronc, on se dit beaucoup de choses sans parler: ce sont des gestes, des regards, des attitudes. Je vois que plus les concerts avancent plus mon père est content. C’est un peu la fête, nous sommes heureux.

Ton opinion

5 commentaires