FranceLe comédien Michel Bouquet est mort à 96 ans
Monument du cinéma et du théâtre français, celui qui a joué Javert, Mitterrand ou Renoir est décédé en fin de matinée à Paris. «Un très grand acteur», dit Alain Delon.
Michel Bouquet, monument du théâtre français connu pour avoir joué pas moins de 800 fois «Le roi se meurt» d’Ionesco et acteur sur grand écran chez Chabrol et Truffaut, est décédé mercredi à l’âge de 96 ans, a annoncé son service de presse à l’AFP. «Michel Bouquet est décédé (mercredi) en fin de matinée dans un hôpital parisien», a-t-on précisé.
Après 75 ans de carrière, il avait confié en 2019 à l’AFP qu’il ne remonterait plus sur scène, après avoir fait son «bonhomme de chemin». Inoubliable dans «Le roi se meurt» et dans «L’Avare» de Molière mais tout autant au cinéma, ce géant de la scène a toujours affiché sa préférence pour le théâtre.
L’inquiétant inspecteur Javert
«Au théâtre, la personnalité de l’auteur est tellement majestueuse, que ce soit Pinter ou Molière, qu’on ne fait qu’essayer de porter la parole le plus docilement possible. C’est l’oubli de soi qui est le plus important», confiait-il en 2019.
Il avait toutefois marqué le grand écran en incarnant un étonnant Mitterrand au soir de sa vie dans «Le Promeneur du Champ de Mars» de Robert Guédiguian (2004), avec un mimétisme qui troublera jusqu’aux proches de l’ancien président. Il recevra le César du meilleur acteur pour ce film, après celui reçu quelques années auparavant pour le film d’Anne Fontaine «Comment j’ai tué mon père» (2002).
Incarnant le peintre Auguste Renoir dans le film du même nom de Gilles Bourdos (2013), il affirme que c’est le rôle qui l’a le plus touché.
À l’écran, il aura aussi incarné des personnages secrets dans les films de Claude Chabrol («La femme infidèle», «Poulet au vinaigre»). Il a également joué sous la direction de François Truffaut («La mariée était en noir», en 1967, et «La Sirène du Mississippi» en 1968) et fut un magistral Javert, l’inspecteur pourchassant Jean Valjean dans «Les Misérables» de Robert Hossein (1982). Habitué des personnages dramatiques, il excellait à reprendre de telles figures dans des comédies, comme dans «Le jouet» de Francis Veber en 1976 où il incarne un homme très riche qui passe tous les caprices à son fils, même quand ce dernier veut pour jouet un homme joué par Pierre Richard.
Né le 6 novembre 1925 à Paris, fils d’un officier qu’il a peu connu car devenu prisonnier de guerre, Michel Bouquet doit son goût du spectacle à sa mère qui l’emmenait régulièrement à l’Opéra Comique. «À chaque fois que le rideau se levait, il n’y avait plus l’horreur de la guerre, il n’y avait plus les Allemands autour (…), le monde irréel dépassait de très loin le monde réel. Ça a été le meilleur enseignement de ma vie», avait-il raconté à l’AFP.
Tour à tour apprenti pâtissier, mécanicien-dentiste, manutentionnaire durant sa jeunesse, il se rend un jour chez Maurice Escande, sociétaire de la Comédie-Française, qui lui propose de suivre ses cours. Il intègre le Conservatoire en même temps que Gérard Philipe.
Son premier souvenir de théâtre? «C’était au Théâtre Chaillot, à 17 ans. J’étais dans un costume de Robespierre; j’avais le sentiment que c’était vrai, que J’étais Robespierre», se souvenait-il pour l’AFP, évoquant «cette magie du costume qui fait qu’on est délivré de soi et on se connaît mieux soi-même». Il deviendra compagnon de route du dramaturge Jean Anouilh puis du comédien Jean Vilar au Théâtre national populaire (TNP) et au Festival d’Avignon.
Un excellent professeur
Il a marqué le théâtre de l’après-guerre en faisant connaître en France l’œuvre de Harold Pinter et en se mettant au service de grands textes classiques (Molière, Diderot ou Strindberg) et contemporains (Samuel Beckett, Eugène Ionesco, Albert Camus ou Thomas Bernhard).
«Michel Bouquet était un génie, un immense acteur. Je pense aussi au professeur de comédie qu’il était et qui a révélé des générations de comédiens», a réagi auprès de l’AFP l’acteur et le metteur en scène Nicolas Briançon. «Il défendait une grande réflexion sur le jeu du comédien, dans le respect des auteurs, avec une grande humilité par rapport au texte. Il avait un discours d’exigence passionnée, avec un engagement permanent et à la fois beaucoup de sobriété dans le jeu».
Alain Delon très attristé
«Je suis profondément triste. Michel Bouquet était un très grand acteur. Nous avons tourné plusieurs films ensemble dont «Deux hommes dans la ville» et «Borsalino». La seule chose qui me reste, ce sont de grands et beaux souvenirs», a confié à l’AFP un autre monstre sacré, Alain Delon.
«Son intensité, sa passion pour les textes et les nuances infinies de son jeu ont fait de Michel Bouquet un acteur adoré des spectateurs, comme des artistes qui ont eu le bonheur de travailler avec lui», a estimé la ministre de la Culture Roselyne Bachelot sur Twitter.
«Il est de cette tradition, de cette race d’acteurs où quand ils évoquent quelque chose, immédiatement, les images nous parviennent», a souligné sur France Inter le comédien Fabrice Luchini qui lui avait remis son Molière d’honneur en 2014. «C’est le plus grand acteur de théâtre français», a-t-il ajouté.