Cyclisme«Il ne roulait pas à vélo, il pilotait»
De «L’Équipe» à «Ouest France», la presse hexagonale et les anciens coureurs ont été stupéfaits par le numéro hallucinant de Jonas Vingegaard, mardi, lors du contre-la-montre de Combloux. Revue de presse.
- par
- Christian Maillard
«D’une autre planète». Plus explicite qu’une longue diatribe, c’est barré en une de «L’Équipe», avec la photo de Jonas Vingegaard, qui semble même souffrir (!). Ce titre évocateur était le même en 1999 lorsqu’un certain Lance Armstrong avait survolé l’étape entre Val-d’Isère et Sestrières. C’était avant qu’il avoue son délit et qu’on ne raye définitivement son nom des tabelles de la Grande Boucle.
Pour le journaliste Alexandre Roos, qui revient dans le quotidien sportif sur ce «coup de massue», «Jonas Vingegaard a sorti son extincteur dans la touffeur de la côte de la Cascade de cœur et de celle de Domancy pour éteindre le bûcher qui flambait depuis le départ de ce Tour de France, d’un duel de feu, d’un suspense total, où les différences de niveau entre les deux étaient imperceptibles.»
Et, forcément, de se poser, comme tout le monde ce mercredi, les questions qui fâchent. «Si le Danois a fait tomber une giboulée d’été sur nos espérances d’une bataille acharnée jusqu’au bout, sa performance a en revanche allumé un brasier, celui de la suspicion, l’amante éternelle du cyclisme, dont l’amourette déborde toujours devant un exploit exceptionnel. Des interrogations légitimes enracinées dans les cendres du passé.»
Même Michael Rasmussen, le Danois qui avait été exclu pour dopage du Tour en 2007, avec un maillot jaune sur les épaules, s’est étonné, dans «Le Parisien» de cette performance «écrasante et supersonique» de son compatriote, lors du chrono de Combloux. «Je ne me souviens pas d’un contre-la-montre dans lequel le vainqueur met 4,5 secondes par kilomètre au deuxième. Pas Indurain, ni Armstrong. Personne!» s’est étonné également sur Twitter l’ex-coureur, aujourd’hui consultant sur une chaîne TV de son pays.
Comme l’écrit aussi ce mercredi matin «Libération», la performance «hallucinante» du maillot jaune sur ce chrono relance une fois encore les suspicions. «Recours aux cétones, dopage génétique, fraude technologique», «Libé» fait le point sur l’état de la lutte contre la tricherie dans le cyclisme. «Le pipi est bon», ironise Vingegaard, dans le quotidien, après un contrôle.
«La majorité du peloton est propre, mais des artistes me paraissent suspects», estime dans «Ouest France» Jean-Jacques Menuet, médecin de l’équipe Arkea-Samsic, qui parle d’un cyclisme à deux vitesses.
Toute la soirée sur les réseaux sociaux, personnes lambda et suiveurs ont manifesté leur désarroi, questionnement et sidération. «Mutants», «lunaire», «la plus grosse blague depuis 1996, l’année où le Danois Bjarne Riis, l’homme au sang en confiture convaincu de dopage, a remporté le maillot jaune».
Interrogé par RMC Sport, l’entraîneur responsable de Cofidis, Samuel Bellenoe, partage aussi sa surprise. «Philosophiquement, il me paraît plutôt sage de douter et de s’interroger. Quand on prend des temps d’ascension, les vitesses ascensionnelles depuis le début du Tour, on voit qu’on est sur des choses qui n’ont même pas existé au temps du dopage, donc ça interroge.»
«Le ballon de baudruche finit toujours par se dégonfler», écrit Vincent Coté dans «Ouest France». «Aujourd’hui, que penser de ces brûleurs de watts efflanqués, qui ont le chic pour perpétuer un cyclisme à deux vitesses et brouiller nos certitudes? Ce doute, c’est le poids de l’histoire, dans un sport qui a fait bien des dégâts sur le plan éthique. Et il faut se méfier des discours lénifiants assurant que ça va mieux aujourd’hui, sous prétexte que les contrôles n’alpaguent aucune star du peloton. Seuls les benêts de kermesse se font attraper de nos jours. Les plus forts sont aussi les plus riches et les plus filous du peloton, champions des gains marginaux, du microdosage, de la maîtrise opaque et de la science des soins, comme on disait élégamment à l’époque où ce sport était placé sur un piédestal.»
Pour le reporter français, «Jonas Vingegaard a franchi un cap dans la stupeur. Nous sommes revenus au début des années 2000, avec la même impression de malaise que durant le septennat Armstrong. Lors de ce court contre-la-montre de 22,4 km, Jonas Vingegaard a fait voler en éclats son duel avec Tadej Pogacar en le repoussant à 1’48’’, mais il a aussi ridiculisé de purs spécialistes du chrono en les époussetant à plus de 3 minutes. Surréaliste et dérangeant. Ce Danois n’est pas du même monde. Mardi, il ne roulait pas à vélo, il pilotait et dans son sillage se répandait la nausée.»
Pour l’ex-coureur Tom Dumoulin, vainqueur du Giro en 2017, «Le Tour est plié». «Je crois que c’est le meilleur contre-la-montre qu’on a jamais vu, renchérit cet ancien spécialiste de la discipline et ancien équipier de Vingegaard à NOS, sur la télévision néerlandaise. «Il n’y a pas de mot pour qualifier cette performance. Vingegaard a roulé trois minutes plus vite que Wout van Aert, qui n’est pas un peintre, et une minute et demie plus vite que Pogacar. Personne ne s’attendait à ça. Ni moi, ni Jumbo-Visma, ni Pogacar.»
Que peut faire désormais Tadej Pogacar: «Attaquer de loin, c’est la seule option qu’il lui reste», répond la «Gazzetta dello Sport». Or pour le site spécialisé «Wielerfiets» le Slovène doit se méfier de cette nouvelle étape reine ce mercredi: «Au sein de l’équipe Jumbo-Visma, on croit que le travail de sape lancé au début du Tour commence à porter ses fruits. Et Pogacar doit même redouter l’étape de ce mercredi avec le passage au Col de la Loze, où les pentes extrêmes et l’altitude pourraient lui jouer de mauvais tours.»
Réponse en fin de journée.