MonténégroLe nouveau chef de l’Église orthodoxe serbe intronisé, sous tensions
Tandis que la cérémonie s’est déroulée dimanche sous haute protection policière, une vingtaine de personnes ont été blessées lors de heurts entre policiers et manifestants.
Plus de 20 personnes ont été blessées dimanche au Monténégro lors de heurts entre la police et des manifestants qui tentaient d’empêcher l’intronisation du nouveau chef de l’Église orthodoxe serbe dans le petit État des Balkans où les tensions identitaires sont montées d’un cran. La police a également annoncé huit arrestations à l’issue des violences qui ont entaché la brève cérémonie d’intronisation à Cetinje, l’ancienne cité royale dans le sud du pays.
L’évêque Joanikije a dû être transporté par hélicoptère de la capitale Podgorica jusqu’au monastère de la ville afin de contourner les barricades qui bloquaient depuis la veille les routes d’accès de Cetinje.
Les tensions liées à l’identité du Monténégro et à ses relations avec la Serbie ont redoublé dans le pays depuis l’annonce de la tenue de la cérémonie dans ce monastère du XVe siècle. Car si cet édifice abrite maintenant le siège de l’Église orthodoxe serbe au Monténégro, il a été pendant des siècles le siège des dirigeants monténégrins, et une partie des habitants y voit un symbole de la «souveraineté» monténégrine.
Le Monténégro indépendant de la Serbie depuis 2006
Le Monténégro est devenu indépendant de la Serbie en 2006 après quelque 90 ans de vie commune mais un tiers des 620’000 habitants s’identifient comme Serbes et certains nationalistes dénient au Monténégro une identité séparée.
L’Église orthodoxe serbe est dominante dans ce pays peuplé à 72% d’orthodoxes. Mais ses adversaires l’accusent de servir les intérêts de Belgrade, et demandent à ce que soit reconnue comme autocéphale l’Église orthodoxe monténégrine, actuellement minoritaire et non reconnue par le monde orthodoxe.
Selon des images diffusées par l’Église, l’évêque Joanikije et le patriarche Porfirije, chef de l’Église serbe au Monténégro, ont été déposés par hélicoptère sur la pelouse du monastère où ils se sont engouffrés pendant que les cloches sonnaient à la volée.
Un périmètre de sécurité
Un périmètre de sécurité avait été mis en place autour de l’édifice par les policiers pour protéger la cérémonie à l’issue de laquelle les dignitaires religieux sont repartis à Podgorica. Les forces de l’ordre ont tiré des gaz lacrymogènes ainsi que des bombes assourdissantes pour chasser les protestataires des abords du monastère.
Selon le directeur adjoint de la police, Dragan Gorovic, cité par la télévision nationale, une vingtaine de policiers ont été blessés.
D’après les médias, plusieurs manifestants ont également été blessés. La veille, des milliers de manifestants avaient mis en place des barricades sur les routes à l’aide de rochers ou de voitures avant de les abandonner dans la matinée.
Beaucoup ont passé la nuit sur ces barrages autour de feux allumés pour se réchauffer, a rapporté une correspondante de l’AFP. Certains protestataires étaient armés et ont tiré en l’air tandis que d’autres ont incendié des pneus.
«Je suis ici pour témoigner de mon amour pour le pays. Nous ne réclamons rien à quelqu’un d’autre, mais nous sommes niés par l’Église serbe occupante. Nous défendons ici notre dignité», a expliqué à l’AFP Saska Brajovic, une fonctionnaire de 50 ans.
Les protestataires répondaient à l’appel d’organisations qui se proclament «patriotiques» ainsi que du parti DPS du président monténégrin Milo Djukanovic, formation battue voici un an aux législatives par une coalition proche de l’Église serbe.
Le président a accusé le gouvernement d’avoir «abusé brutalement des ressources de l’État, notamment de l’armée et de la police» pour introniser l’évêque «contrairement à la volonté d’une énorme majorité des habitants de Cetinje et d’un nombre important de citoyens du Monténégro».
Des divisions «artificiellement provoquées»
De leur côté, l’Église comme le nouveau gouvernement accusent pour leur part le président monténégrin d’attiser les tensions religieuses à des fins politiques, alors que les dernières législatives ont mis fin à trois décennies de règne de son parti.
«Les divisions ont été artificiellement provoquées», a lancé l’évêque Joanikije lors de la cérémonie, promettant de «servir la réconciliation fraternelle» au Monténégro.
Le chef du gouvernement Zdravko Krivokapic a appelé «tous les citoyens honnêtes monténégrins à ne pas céder à la manipulation de ceux qui sont prêts à pousser les frères dans un conflit, afin de garder leurs bénéfices et privilèges».
Appels au calme
Alors que le président serbe Aleksandar Vucic félicitait le gouvernement monténégrin d’avoir assuré le maintien de la cérémonie, l’ambassade des États-Unis et la délégation de l’Union européenne ont appelé les responsables politiques à calmer la situation. «À tous ceux qui soutiennent un Monténégro multiethnique, inclusif et démocratique, nous vous appelons à apaiser les tensions actuelles», a écrit l’ambassade américaine sur sa page Facebook.
Joanikije succède à l’archevêque Amfilohije, décédé en 2020 des suites du Covid-19, après avoir dirigé l’Église serbe au Monténégro pendant trente ans.
Version originale publiée sur 20min.ch