InterviewCharlotte Gainsbourg: «Ma mère est un modèle de force de vie»
Après avoir présenté son premier film, «Jane par Charlotte», à Bienne samedi, l’actrice se confie sur sa mère, Jane Birkin, son père, Serge Gainsbourg, et son manque de confiance en elle.
- par
- Fabio Dell'Anna
«Pardon, je ne suis pas en train de faire pipi, je remplis une bouilloire», s’exclame Charlotte Gainsbourg en décrochant le téléphone. Si l’actrice de 50 ans ne manque pas d’humour, elle nous parle avec sincérité de son premier documentaire en tant que réalisatrice, «Jane par Charlotte». Le projet raconte sa mère, Jane Birkin, et a été présenté le week-end dernier lors du Festival du film français d’Helvétie à Bienne. «Il s’agit d’un film contenant des moments très impudiques et à la fois discrets. J’ai eu l’impression que quelque chose se passait entre nous en partant d’un rapport très timide, un peu peureux jusqu’à quelque chose de beaucoup plus détendu.»
Truffé de confidences, parsemé de souvenirs, le documentaire est un journal intime imagé. Dans ces confessions, il est question de la culpabilité qui vient souvent hanter l’artiste de 74 ans, des insomnies qui agitent ses nuits depuis l’enfance ou encore de son premier mariage avec John Barry. Sans oublier Serge Gainsbourg, bien sûr, et sa demeure de la rue de Verneuil qui va être prochainement transformée en musée. «Le film s’est construit par accident. J’ai beaucoup de plaisir à ce que les choses m’échappent et à laisser de la place au hasard. Le résultat est un heureux hasard», confie Charlotte Gainsbourg.
Comment est née l’idée d’un documentaire sur votre mère?
De manière pas très claire. Cela remonte à cinq ans. J’étais installée aux États-Unis. Je la voyais peu. En assistant à quelques concerts de la tournée «Le Symphonique», je voulais la capturer en images dans les coulisses. Mon idée première était de la suivre lors d’un show au Japon et de tout commenter. Elle a accepté, mais nous ne savions pas dans quoi nous nous lancions. Lors de notre premier échange, je lui ai posé des questions directes et, peut-être, trop intimes. Quelque temps après, juste avant son spectacle à New York, je lui ai demandé si je pouvais continuer le projet. Elle m’a répondu: «Non, j’ai détesté. Tu arrêtes.» Cela m’a un peu séchée. Je n’avais pas l’impression d’avoir fait quelque chose de terrible. Je pensais être allée droit au but, sans la ménager. Je ne l’ai pas brutalisée, mais elle ne l’a pas bien pris. Il fallait que je comprenne. Je ne voulais pas lui faire du mal, alors j’ai laissé tomber.
Cela a changé quelque chose dans vos rapports?
Nous sommes restées en très bons termes. Deux ans plus tard, elle est venue me voir à New York, je lui ai proposé de regarder les rushs. On les a découverts ensemble et c’était plutôt pudique. La lumière était belle. On comprenait le ton très personnel. Contre toute attente, elle m’a dit: «Si tu veux recommencer, je veux bien.» Nous avons remis en place le tournage. Elle était toujours sur la même tournée et je me suis calée sur son prochain show new-yorkais. J’étais très prudente tout au long du processus. (Rires.) Je voulais qu’on se sente bien et qu’elle soit mise en valeur. Je ne voulais plus qu’il y ait ce climat un peu tendu que nous avions connu. Après New York, il y a eu le Covid et je suis rentrée en France. J’avais plein de lieux en tête où je voulais la capturer: dans un studio photo, rue de Verneuil, dans sa maison à Brest…
Est-ce que cette expérience vous a rapprochées toutes les deux?
Non, je pense que cela n’a rien changé. J’ai repris ma timidité et mon malaise. Elle, sa posture. Je ne dis pas ça de manière négative. Cet échange a été un trésor, mais nous avons toutes les deux nos personnalités. Je pense qu’elle a vécu un moment de complicité et d’entraide. Quand je suis revenue en France, je n’allais pas très bien. Elle m’a beaucoup aidée. Elle a toujours été très mignonne pour le documentaire, et lorsqu’elle pensait que je perdais pied, elle s’est confiée comme jamais je ne l’aurais imaginé. Elle m’a tenu la main.
Lors du premier visionnage du documentaire, avez-vous craint sa réaction?
Oui. Je n’en menais pas large. J’ai fait venir Yvan (ndlr.: Attal, le mari de Charlotte Gainsbourg depuis 1991) pour que l’on ne soit pas seules. J’aimais vraiment mon film. Cela ne m’est jamais arrivé d’être si heureuse d’un résultat. J’étais très contente de découvrir que le documentaire fonctionnait.
Quel moment vous a particulièrement touchée?
Il y a un moment très doux quand nous sommes toutes les deux dans un lit pendant que je la photographie. Ma référence était un cliché de moi pris par ma sœur Kate (ndlr.: Barry). En même temps, nous avons commencé à parler de sommeil et de somnifères. J’ai eu l’impression d’un vrai moment de complicité et d’écoute de ma part. Quand je vois les images, je la trouve aussi très belle. Il y a aussi ce moment sur la plage, où je dis des choses que je n’aurais jamais osé lui dire en face. J’ai enregistré un texte et je l’ai passé en bande-son pendant qu’on la voit marcher. C’était une belle déclaration d’amour finalement.
Vous lui dites notamment: «J’aimerais être comme toi. Faire confiance à la vie. Être sans méfiance. Croire en l’être humain et être curieuse de tout. J’aurais besoin que tu m’apprennes à vivre.» Comment a-t-elle réagi?
Elle a été très émue. Cette séquence lui a fait oublier les passages où elle pouvait un peu moins s’aimer.
Le film montre aussi qu’après la mort de sa fille Kate Barry, en 2013, elle a tout de même réussi à trouver la force pour avancer.
Elle est un modèle incroyable de force de vie. Kate est une blessure qui ne se refermera jamais. Elle ne peut pas la combler, mais ma mère aime les gens. Elle est curieuse et tout cela la maintient en vie. C’est pour cela qu’elle avance. Elle a été éteinte pendant très longtemps. C’est une réaction normale. Puis les projets de tournées l’ont petit à petit remise sur pied.
Une autre séquence importante a été votre retour ensemble à la rue de Verneuil où votre père a habité de longues années. Vous sembliez surprise que votre mère ne vous ait jamais demandé de visiter ces lieux par respect pour vous?
Oui. Elle aurait aimé que je l’invite plus tôt, chose que je n’avais pas imaginée. J’ai entretenu un rapport tellement intime avec la rue de Verneuil que je n’ai jamais pensé à la partager. Sauf si on me le demandait. Quelques personnes m’ont déjà dit: «Oh, j’aimerais bien visiter la maison de ton père.» Bien sûr, j’ouvrais la porte et je comprenais que c’était émouvant. Mais je ne le proposais jamais en premier. Entrer dans cet appartement me bouleverse. Cela s’est un peu apaisé avec les années, mais je reviens trente ans en arrière à chaque fois. Je ne pensais pas que ma mère en avait envie.
Vous n’avez jamais parlé de la disparition de votre père?
Nous avons gardé notre peine, nous ne l’avons pas partagée. À 19 ans, cela a été un épisode tellement brutal. Je n’étais pas du tout préparée et je n’habitais plus à la maison. C’est comme si chacune de nous s’était approprié sa peine… C’était étrange. Sans parler que cette mort est très unique. Tout le monde autour de nous avait un mot à dire. Automatiquement, nous avons commencé à nous protéger et à intérioriser notre déchirement plutôt que d’en parler.
Vous vous qualifiez de timide, mais dans le film vous vous décrivez aussi comme une personne jalouse. C’est-à-dire?
Mes sœurs et moi avons toutes les trois (ndlr: Kate Barry, Charlotte Gainsbourg et Lou Doillon) des pères et des histoires différents. Kate faisait beaucoup de bruit à cause de ses conneries et ça monopolisait l’attention. Je suis partie assez tôt pour jouer dans des films et j’étais alors rapidement moins présente. Les week-ends, j’allais voir mon père et j’avais l’impression de rater plein de choses à la maison. Même si j’étais épanouie, je ressentais ce sentiment un peu égoïste. Bizarrement, on pourrait l’associer au syndrome de l’enfant unique, malgré la chance d’avoir eu des frères et des sœurs. Maman a changé aussi lorsqu’elle a eu Lou. Elle est devenue beaucoup plus mère de famille, à organiser des repas à la maison.
Vous auriez voulu qu’elle fasse de même avec vous?
Je ne changerais pour rien au monde la vie qu’elle a eue avec mon père. Aujourd’hui, je trouve fabuleux d’avoir eu des parents qui se sont autant amusés, aimés et déchirés. Pour un enfant à l’âge adulte, ce côté passionnel représente une force. Mais, à l’époque, je me disais que j’aurais bien aimé avoir eu une mère qui rentrait un peu plus dans la norme. Je n’étais pas sûre d’être au même niveau. C’est affreux, car aujourd’hui je me sens bien con de dire ça.
Pourtant vous n’avez rien à envier à vos sœurs ni à votre mère.
Ce n’est pas de l’envie. Il y a eu plein de choses qui m’ont mise mal à l’aise et qui ont provoqué une espèce de gêne en moi. Je ne voyais que mes défauts. Je ne m’aimais pas du tout et il fallait faire avec.
Allez-vous mieux?
Oui, évidemment ça va mieux. Je n’ai plus la même timidité. Je n’ai plus la même appréhension. Aujourd’hui, si je me trompe lors d’une émission TV ou que je trébuche sur des mots cela n’a plus la même importance. J’avais une telle honte de ne pas trouver les bonnes paroles…
Vous êtes aussi perfectionniste, peut-être?
Exact. Tant que cela n’atteint pas un certain niveau, je n’aime pas. En même temps avec les textes que j’ai écrits pour l’album «Rest» (ndlr.: sorti en 2017) avec SebastiAn, c’est comme si j’avais accepté ma médiocrité. Je ne le dis pas d’une manière péjorative. Je ne suis pas un génie de l’écriture et je l’accepte. Cela me fait presque sourire. Je me suis acclimatée avec le fait de ne pas avoir le génie de mon père. Mais c’est difficile.
Votre mère a été victime d’un AVC début septembre et a annulé tous ses rendez-vous de l’année. Comment va-t-elle aujourd’hui?
Ça va. Elle n’a pas de séquelles. Elle se fait chier à l’hôpital. (Rires.) Elle n’a qu’une hâte s’est de rentrer à la maison. Je comprends son état et c’est typique d’elle. Cela nous fait sourire.