FootballYapi Yapo: «Le marabout m'a demandé de sacrifier mon fils»
L’ancien international ivoirien, passé par Young Boys, Bâle, Zurich et Aarau, a été escroqué à hauteur de 200’000 euros par un marabout alors qu’il portait le maillot du FC Nantes.
- par
- Renaud Tschoumy
«C’est un engrenage où on peut être esclave et ça peut être très destructeur»: ancien international ivoirien bien connu en Suisse, Gilles Yapi Yapo a dénoncé l’emprise d’un marabout parisien consulté pour améliorer ses performances. L’homme l’escroquera de 200’000 euros.
Yapi Yapo, aujourd’hui 41 ans, a joué pendant plus de dix ans en championnat de Suisse. Il a successivement porté les maillots de Young Boys, Bâle, Zurich et Aarau. Il est aujourd’hui entraîneur du BSC Old Boys Bâle, en 2e ligue interrégionale.
Il a accepté de raconter à l’AFP ses deux années de relation de «prestation de services» avec un marabout à Paris.
Des sacrifices pour combattre les malédictions
Tout commence quand le footballeur a 23 ans et joue au FC Nantes, juste avant sa venue en Suisse. Alors qu’il «traverse une période difficile au niveau sportif», il décide de consulter ce marabout à Paris, recommandé par son oncle. «Le marabout consultait la nuit dans son appartement, je faisais souvent le trajet Nantes – Paris.»
«Je ne suis pas attiré par l’occultisme», souligne Yapi Yapo, «mais j’ai grandi en Côte d’Ivoire avec l’idée qu’aller voir un marabout est courant et pas quelque chose de mauvais, du moment qu’on ne cherche pas à faire du mal à autrui».
Le «diagnostic» du marabout pointe une «malédiction» dans sa famille qui l’empêcherait «de réussir et d’être heureux». Solution préconisée: «Faire des sacrifices pour contrecarrer ces malédictions». Ces sacrifices – poule, coq, chèvre ou bélier – débutent au tarif de 500 euros, jusqu’à atteindre «des sommes colossales».
Et puis un jour, «il y a eu comme de la magie noire», poursuit-il. «Le marabout m’a fait croire que les esprits pour lesquels il travaillait m’aimaient bien et qu’ils voulaient me rendre riche. Cela a été comme un appât.»
Les consultations «changent de voie», à la recherche de cette richesse promise, avec «des sacrifices à 40’000, 50’000, puis 60’000 euros». Le footballeur «s’essouffle financièrement». Le marabout dit alors que «s’il n’y a plus d’argent, il faut sacrifier son fils». «J’ai eu une force en moi qui m’a dit «Stop» et je ne suis plus allé le voir», relate l’ancien joueur.
«En deux ans, ces dépenses que je considère aujourd’hui comme une escroquerie se sont montées à 200’000 euros», lance Yapi Yapo, qui confie n’«avoir eu aucun résultat positif». Pourquoi alors avoir poursuivi cette relation tout ce temps? «Il a su me mettre dans un engrenage où j’avais perdu toute lucidité...»
Il explique «avoir eu la chance alors de rencontrer Jésus» et «la force» de quitter cette relation toxique. Certains marabouts «menacent de représailles», témoigne-t-il, et «donc, il y a une peur de s’en détacher».
Dépressions, pensées suicidaires…
L’aumônier des sportifs de haut niveau en France, Joël Thibault, témoigne avoir dû gérer dans ses accompagnements les «dangers» de telles emprises et «les conséquences désastreuses» sur des footballeurs et des basketteurs.
«Je sais qu’il y a des clubs, des dirigeants qui donnent des autorisations à des joueurs de partir au Sénégal parce qu’ils sont blessés et que les médecins n’arrivent pas à les soigner; ils vont là-bas et reviennent jouer avec des ceintures de protection et des amulettes.»
Des joueurs consultant des marabouts en France lui ont raconté que «dès qu’ils allaient moins bien, il fallait augmenter les sacrifices, payer plus cher; ça devient un engrenage». «Je vois les dégâts: des joueurs qui ont fait une dépression, eu des pensées suicidaires.»
Joël Thibault dénonce aussi le fait que c’est seulement à l’occasion de l’«affaire Paul Pogba» qu’on a pris, selon lui, la mesure d’un phénomène «aggravé en raison d'enjeux financiers de plus en plus grands» dans le football.
Pogba avait été accusé par des proches d’avoir payé un marabout pour jeter des sorts sur son coéquipier en équipe de France et star mondiale Kylian Mbappé – ce que Paul Pogba et le marabout ont nié devant la justice.
«Des joueurs me disent: «Tel joueur, quand il y a un contrôle antidopage, aucun médecin ne peut lui mettre une aiguille dans le bras tant qu’il n’a pas appelé son marabout». Il y a donc des gens qui sont au courant», conclut M. Thibault.