Bellinzone (TI)Le TPF se penche sur la rétroactivité des crimes contre l’humanité
Au procès d’Ousman Sonko, ex-ministre gambien, le Tribunal pénal fédéral se demande mardi si les accusations de crimes contre l’humanité peuvent être jugées rétroactivement.
À Bellinzone (TI), le Tribunal pénal fédéral doit décider mardi si la poursuite des crimes contre l’humanité peut être rétroactive, un élément-clé dans le procès d’un ancien ministre gambien qui s’est ouvert cette semaine. Ousman Sonko, 55 ans, est accusé de divers chefs de crimes contre l’humanité, dont la torture répétée et le viol répété, qu’il aurait commis de 2000 à 2016 sous l’ère de l’ancien président à la main de fer Yahya Jammeh, d’abord en tant que membre de l’armée, puis comme inspecteur général de la police et enfin comme ministre de l’Intérieur.
Il comparaît depuis lundi et risque la prison à vie. Son procès est possible, car la Suisse a procédé à deux changements majeurs de sa législation en 2011, en inscrivant dans son droit les crimes contre l’humanité – des exactions commises dans le cadre d’une attaque de grande ampleur visant des civils – et en se reconnaissant une compétence universelle pour juger certains crimes graves en vertu du droit international.
«Principe de non-rétroactivité»
Au premier jour du procès, la défense a demandé à la cour de classer l’ensemble du dossier «compte tenu de l’ampleur des violations des règles fondamentales de procédure», ou au moins d’écarter les poursuites concernant les faits qui auraient été commis avant 2011, estimant qu’il ne pouvait y avoir «d’exception au principe de non-rétroactivité». Or, une grande partie des faits qui figurent dans l’acte d’accusation est antérieure à 2011.
Ce procès est jugé «très important dans l’histoire judiciaire suisse», car il s’agit seulement du deuxième pour crimes contre l’humanité, a souligné l’ONG Trial International, à l’origine de la procédure lancée contre Ousman Sonko. Et c’est la première fois que la notion de crime contre l’humanité est abordée en première instance, en Suisse.
En juin 2023, la cour d’appel du Tribunal pénal fédéral avait confirmé la condamnation à 20 ans de prison d’un ancien chef de guerre libérien, Alieu Kosiah, et retenu pour la première fois l’accusation de crimes contre l’humanité pour des faits commis bien avant 2011.
Première prise de parole
Depuis cette condamnation en appel, un nouvel avocat a pris sa défense, Me Philippe Currat, qui représente également les intérêts de Ousman Sonko. Il a expliqué à l’AFP qu’il entendait porter l’affaire Kosiah devant le Tribunal fédéral, plus haute instance judiciaire de Suisse.
Mardi, la décision concernant la rétroactivité des faits concernant Ousman Sonko n’est pas attendue avant 13 heures. L’ancien ministre doit ensuite prendre pour la première fois la parole devant la cour, car il n’a pour l’instant pu que décliner son identité. Le procès doit durer un mois, mais le verdict n’est pas attendu avant mars.
Dix personnes se sont constituées parties civiles, dont huit «victimes directes» et la fille d’une personne décédée en détention, selon Trial. Une autre est décédée l’an dernier, mais ses héritiers ont repris le dossier. Ousman Sonko avait été arrêté le 26 janvier 2017 en Suisse où il avait demandé l’asile après avoir été démis de ses fonctions ministérielles qu’il a occupées pendant 10 ans jusqu’en septembre 2016.
Complicité
Le Ministère public de la Confédération reproche au Gambien d’avoir commis la plupart des actes pour lesquels il est poursuivi avec la complicité de l’ancien président de ce petit pays ouest-africain et de «membres dirigeants des forces de sécurité et des services pénitentiaires».
En Gambie, le gouvernement a annoncé l’an dernier œuvrer avec l’organisation des États ouest-africains à la mise sur pied d’un tribunal chargé de juger les crimes commis sous les 22 ans de règne de Yahya Jammeh (1994-fin 2016). Mais son procès est encore très incertain, car aucun accord d’extradition n’existe entre la Gambie et la Guinée équatoriale, où Yahya Jammeh vit en exil depuis 2017.