VaudElle les accuse d’un viol en 2012: «Ils m’ont détruite et ils sont tranquilles»
Aya* est venue raconter son vécu devant les juges lausannois. Ses deux agresseurs présumés comparaissent pour viol en commun, dix ans après des faits contestés.
- par
- Evelyne Emeri
«J’ai supplié, j’ai supplié. J’ai hurlé de toutes mes forces. Je demandais qu’on me laisse partir. Je ne sais pas ce qui les a fait s’arrêter. Ce sont des malades. Je ne comptais pas. Aucune compassion, aucune sensibilité, aucune humanité. Encore aujourd’hui, ils n’ont toujours pas pitié de moi. Ça me choque. On fait tous des erreurs. Ils ont été cruels. Ils m’ont détruite et ils sont tranquilles. Ils m’ont broyée. J’ai vécu un enfer. Dix ans après, ils n’ont pas évolué, ils sont dangereux.» Aya* avait 18 ans en octobre 2012 lorsqu’elle a subi les assauts de Moussa*(18) et la perversité de Djibril* (19), venu regarder leurs ébats, accompagné d’un mineur déféré séparément, et se donner du plaisir face à leur pote. «Un animal», dira la victime qui a refusé la confrontation pour raconter sa vérité.
Une affaire «étouffée»
La jolie Camerounaise a mis huit ans pour porter plainte grâce à un ami dont la sœur s’était aussi fait agresser sexuellement. Un homme d’Église dont elle ne veut pas trop parler: «C’est ma vie privée. Je ne suis pas ici pour ça. La foi m’a aidée, j’avais besoin de cette connexion, de quelque chose de surnaturel». En juillet 2020, lorsqu’elle dénonce son viol, la justice vaudoise la croit et persistera près de trois ans pour traîner les deux auteurs présumés devant une Cour criminelle. Ils répondent aujourd’hui de viol et de sa version aggravante et rarissime, le viol en commun. Une affaire que les deux hommes d’origine africaine, âgés aujourd’hui de 28 et 30 ans, avaient «étouffée». Un verbe qui fera débat en audience, les abuseurs présumés, respectivement en Suisse depuis 2006 et 2010, mettant en cause leur mauvaise connaissance du français.
«J’ai enterré ce souvenir»
Aya est arrivée au procès, brisée, à peine audible, en larmes. Elle s’est détendue et défendue au fil de son récit. Elle a raconté avec une précision d’horloger son vécu, celui qu’elle dit avoir enfoui depuis cette nuit du 17 au 18 octobre 2012, avec des variations que le tribunal mettra – ou pas – sur le compte du temps écoulé (11 ans!) et du parcours de combattante de l’étudiante de l’Eracom (École romande d’arts et communication): «J’ai enterré ce souvenir pour survivre. J’étais dans le déni. J’ai occulté, c’était plus facile que d’affronter ça. J’attends des excuses de la part de mes agresseurs. Ils ne sont même pas conscients de ce qu’ils ont fait. N’importe qui à ma place se serait suicidé. Moi je cherche à m’en sortir, ma paix».
«C’était tout à fait consenti»
Après ce témoignage glacial de la plaignante en l’absence requise des coprévenus, le président Alban Ballif a passé à la question les deux accusés. Moussa se souvient l’avoir raccompagnée jusqu’au métro depuis l’appartement de Djibril à Lausanne. «Vous comprenez qu’elle a subi une agression?» questionne le président de céans. «Ce n’est pas du tout ce qu’il s’est passé. C’était tout à fait consenti, réplique le pilote de machines dans une entreprise agroalimentaire, Je ne peux pas m’excuser des faits qui me sont reprochés.» Aya n’y tient plus. Elle se lève, quitte la salle et va bruyamment déposer son chagrin dans les pas perdus silencieux de Montbenon. Son avocate Me Marina Kilchenmann lui emboîte le pas. Le calme reviendra.
«J’étais jeune et curieux»
«Je n’ai pas pris l’affaire au sérieux quand j’ai été convoqué. Elle était consciente (alcool). Nous, on n’avait pas bu. J’étais curieux alors je suis allé voir dans la chambre. On n’avait rien planifié. J’ai observé 2 minutes dans le noir. Pour moi, c’était tout nouveau. J’étais jeune et curieux», explique pour sa part Djibril. «Pourquoi parler d’une histoire étouffée s’il ne s’est rien passé?» interroge le président Baillif. Le futur papa, employé dans un restaurant, de préciser: «C’est mon français. Étouffer pour dire que ça n’a pas existé et que ça allait être vite réglé». «Vous avez vu quoi en entrant dans la pièce, vous vouliez faire quelque chose?» questionne le procureur Jérémie Müller. Réponse du coaccusé: «Ils faisaient l’amour. S’il y avait eu moyen, oui c’est possible, mais pas tous en même temps, non».
Culpabilité écrasante
«Les déclarations de la plaignante ont été constantes depuis son dépôt de plainte, elle est la plus crédible de tous. Elle a résisté, Moussa s’est acharné. Elle parviendra à fuir, à moitié nue dans la rue.» Le procureur Müller se montrera intraitable: «L’examen gynécologique au CHUV le lendemain de cette soirée de 2012 parle de douleurs vulvaires, de fissures. Le récit d’Aya à sa meilleure amie juste après les faits concorde parfaitement avec ses déclarations à la police en 2020. S’agissant des plaignants, leurs propos sont fantaisistes. Djibril a même déclaré en audition qu’elle s’est comportée comme une pute en restant avec trois garçons (ndlr. il s’en excusera lors d’une autre audition) et qu’elle aurait dû assumer. Leur culpabilité est écrasante».
6 et 7 ans et demi requis
Absence de scrupules, mépris de la vie d’autrui. Le parquet a martelé sec: «Moussa a agi de manière brutale et sauvage. Il a déjà quatre inscriptions à son casier judiciaire dont trois pour actes de violence. Il n’a aucun remords. Il soutient qu’elle ment. Djibril, lui, a agi de manière vile et perfide. Pas de remords, non plus. Et déjà trois condamnations LCR (loi fédérale sur la circulation routière). Aya serait responsable de ce qui lui est arrivé!» Le magistrat de requérir 7 ans et demi de prison ferme pour Moussa et une expulsion du territoire durant sept ans. Pour Djibril, 6 ans. Il ira jusqu’à demander leur arrestation immédiate pour éviter tout risque de fuite avant le verdict. Les juges, qui se réservent de retenir aussi l’infraction d’actes d’ordre sexuel sur une personne incapable de discernement ou de résistance, ne le suivront pas.
«Sa crédibilité est intacte»
«L’attitude je-m’en-foutiste des prévenus, comme si de rien n’était, ça ne tient plus en 2020. Ils n’ont que faire de ce que la police leur demande. Ils rient même lors de leur audition. Ils n’ont aucune prise de conscience de la gravité des faits.» Avocate d’Aya, Me Marina Kilchenmann est en colère: «Leur version est discutée et discutable. Rien ne colle. Tout ce que ma cliente dit peut être confirmé par les pièces au dossier. Thérapeutes, CHUV (ndlr. l’ADN de Moussa est bien présent), son amie qui n’a pas tout inventé. Elle dit: «Je ne souhaite de mal à personne». Aujourd’hui, c’est comme si elle devait s’excuser d’avoir déposé plainte. Sa crédibilité est intacte, il n’y a pas à l’entacher par ses croyances religieuses. Leur culpabilité? Il n’y a pas de mot. Elle est à la hauteur de la souffrance de ma mandante qui vit avec un trouble de stress post-traumatique diagnostiqué».
«Le viol a été suggéré»
Du côté de la défense, Me Sarah Meyer, avocate de Djibril, rappelle qu’il a toujours clamé son innocence: «Le rapport du CHUV coche la case de lésions évocatrices d’une agression sexuelle, pas celle d’une agression sexuelle. Pourquoi huit ans après? L’église vraisemblablement évangélique à laquelle Aya appartient pratique des actes de délivrance spirituelle. Elle demande un suivi avec un pasteur pour réguler un problème d’ordre psychique, elle dit qu’elle a besoin de quelque chose de surnaturel». Et la femme de robe d’insister: «Le viol lui a donc bien été suggéré et ces pratiques peuvent induire de faux souvenirs. Il faut relativiser la parole de cette partie plaignante, il y a des incohérences, des incertitudes. Vu l’absence de proactivité de mon client, il doit être acquitté. Il n’a pas assisté à un viol qui est contesté».
«Nous étions des pestes»
Son confrère Me Marcel Waser, défenseur de Moussa, d’abonder sur le pourquoi de l’intérêt d’une plainte tardive de la jeune femme: «Pour se reconstruire? Un intérêt vindicatif, financier (ndlr. 10 000 francs de conclusions civiles)? L’intervention d’un tiers, probablement un gourou, qui vous pousse à agir? Pour la première fois, je n’ai aucun doute que ces événements ne sont pas pénalement répréhensibles. Les allégations d’Aya sonnent totalement faux. Il y a eu un rapport charnel, dépourvu de romance, c’est tout». Et l’avocat de s’attarder sur les propos tenus en cours d’enquête par la plaignante et sa confidente: «Elles le disent: «À l’époque, nous étions assez vicieuses, nous étions des pestes, on se comportait comme des stars, Paris Hilton, Beyoncé». On est très loin de la prétendue innocente. Ne faut-il pas plutôt rechercher la réalité dans le déni d’un modèle de vie dépravé?» L’acquittement est là aussi requis.
Le verdict est attendu en fin de journée.
*Prénoms d’emprunt