Attentat de Nice : «Dans ma vie, rien n’est grave, rien ne peut avoir un impact sur moi»

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Attentat de Nice«Dans ma vie, rien n’est grave, rien ne peut avoir un impact sur moi»

Un jeune homme ayant perdu ses deux parents lors de l’attaque de 2016 a évoqué son «décalage permanent» avec la société, mais aussi avec les victimes, vendredi, lors du procès. 

Le jeune homme souhaitait aussi rassurer certaines personnes sur leur «légitimité» à témoigner.

Le jeune homme souhaitait aussi rassurer certaines personnes sur leur «légitimité» à témoigner.

AFP

«Je vous annonce la mort de mes deux parents dans un attentat, et je n’ai aucune émotion.» Au procès de l’attentat de Nice, le témoignage vendredi à Paris de Mathieu tranche avec ceux de la majorité des victimes venues à la barre jusque-là.

«Je me considère comme différent»

Pour ce jeune homme de 27 ans, qui a perdu ses deux parents dans l’attentat du 14 juillet 2016 et qui a survécu avec sa jeune sœur, pas de crises d’angoisse, pas de tressaillement quand un camion passe près de lui. «Je n’ai pas de stress, je suis tranquille», assure-t-il devant la cour d’assises spéciale, malgré le deuil, le souvenir de «la vision de mon père dans un état que je vous épargnerai» sur la Promenade des Anglais et «quatre jours d’attente avant la confirmation du décès de ma mère».

«Si quelqu’un rentre et tue tout le monde, c’est un constat. Je n’ai pas peur.»

«Grande capacité de résilience», a écrit le psychiatre dans l’expertise réalisée pour le fonds de garantie des victimes. «Pas de stress post-traumatique», a-t-il conclu. «J’ai appris à l’entendre», poursuit Mathieu Bousfiha, même si le langage administratif fait parfois mal. «On m’a dit que mes souffrances endurées sont de 2 sur 7. 2 sur 7... Etrange, que faut-il pour avoir 3, 4...?». «Je suis en décalage permanent», concède-t-il. Avec les personnes n’ayant pas vécu le drame, mais aussi avec les autres victimes de l’attentat, qui a fait 86 morts et plus de 400 blessés. «Je me considère comme différent», poursuit-il, d’une voix calme. «Je n’ai pas peur de mourir. Si quelqu’un rentre et tue tout le monde, c’est un constat. Je n’ai pas peur.» Alors que de nombreux rescapés confient repérer systématiquement les issues de secours lorsqu’ils entrent quelque part, lui s’interroge, fataliste: «Est-ce qu’il y a une issue de secours?»

«Il n’y a aucun impact dans ma vie» 

En large chemise bleu clair, les cheveux ramenés en chignon, Mathieu garde les mains enfoncées dans ses poches tout le long de son témoignage et hausse régulièrement les épaules. «C’est ma vie...» Pour cet ingénieur qui n’a plus de contacts avec sa sœur – elle a préféré s’éloigner - cette «nouvelle vie» est «automatique» et remplie de solitude, en dehors de ses voyages fréquents au Maroc, dans sa famille paternelle. «Dans ma vie, rien n’est grave, rien ne peut avoir un impact sur moi», explique-t-il.

«On était tous là, au mauvais endroit, au mauvais moment»

Au travail, il s’absente deux jours sans prévenir personne ni poser de congés pour rendre visite à un ami qui a eu une crise cardiaque. «Tu auras un impact sur ton salaire», l’avertissent ses collègues. Mathieu reproduit à la barre le rire qui l’a alors saisi: «Un impact sur mon salaire? Il n’y a aucun impact dans ma vie», répète-t-il. Présent tous les jours depuis le début du procès, sur les bancs de la salle d’audience, il dit pourtant n’en avoir «aucune attente sur le plan juridique».

Son intérêt est ailleurs: «J’avais besoin de parler» avec des victimes, confie-t-il, tirant de chacun de ses échanges «quelques secondes précieuses» pour sa «construction» (il refuse de parler de «reconstruction»). «Il y a un lien immédiat qui se fait, et on se comprend.» «Je ne parlerai qu’à des personnes qui ont vécu ce moment-là», avait-il déclaré un instant plus tôt, pour expliquer n’avoir pas réussi à aller au-delà du premier rendez-vous avec les psychologues qu’il a rencontrés. Il souhaite aussi rassurer certaines personnes sur leur «légitimité» à témoigner, même celles qui n’ont pas perdu de proches ou n’ont pas été blessées physiquement: «on était tous là, au mauvais endroit, au mauvais moment».

(AFP)

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