MédecineL’EPFL découvre pourquoi certains cancers du sein se réveillent
Les patientes avec le type de cancer le plus fréquent ont un risque de récidive dans d’autres organes toute leur vie. Le mécanisme a été décrypté, d’où des pistes de traitement.
- par
- Michel Pralong
Le cancer du sein est le cancer le plus fréquent chez les femmes. Dans certains d’entre eux, la cellule cancéreuse contient des récepteurs hormonaux. On dit qu’ils sont récepteurs positifs (RH+). Les hormones peuvent être de deux types: l’œstrogène et la progestérone. On retrouve des récepteurs d’œstrogènes et des récepteurs de la progestérone dans la majorité des cancers dits inflitrants, c’est-à-dire qu’ils proviennent des canaux mais ont envahi le sein environnant.
Dans d’autres cancers, la cellule ne contient pas de récepteurs hormonaux, ils sont nommés récepteurs négatifs (RH-). Les traitements diffèrent pour ces deux types de cancer, car les RH- ne sont pas sensibles aux traitements hormonaux.
Plus de 70% des cancers sont positifs au récepteur d’œstrogène (ER+). Ils peuvent recevoir un traitement hormonal et prolifèrent moins que les cancers à récepteur d’œstrogène négatif (ER-) et donc, les patients avec ER + ont de meilleurs taux de survie à 5 ans que les patients avec ER –. Cependant, les patients ER- qui ne rechutent pas dans les cinq premières années suivant les traitements sont généralement considérés comme guéris de la maladie, alors que les patients ER + ont un risque de rechute à vie, bien qu’ils aient bénéficié initialement d’une hormonothérapie, contrairement aux ER-.
Des métastases se forment ailleurs
Car, comparé au ER-, le cancer ER + se manifeste souvent par une maladie dormante. C’est-à-dire qu’elle récidive des décennies après le diagnostic initial, des métastases se formant dans d’autres organes du corps. Les mécanismes contrôlant la dormance et la récurrence à distance des tumeurs ER + restaient insaisissables en raison du manque de modèles précliniques, soit d’études préliminaires avant les tests sur l’homme.
Des chercheurs de l’EPFL sont parvenus à développer des tests sur des souris pour étudier le cancer du sein chez les femmes. Ce modèle, développé dans le laboratoire de la professeure Cathrin Brisken à l’EPFL, et décrit dans «Nature Communications» s’appelle le modèle intracanalaire. «Les cellules cancéreuses sont injectées directement dans les canaux lactifères des souris, là où est produit le lait, tandis que dans les modèles précédents, on les injectait dans la graisse du sein ou sous la peau des souris. Or un cancer infiltrant chez les patientes débute dans le canal lactifère», nous explique le Dr Patrick Aouad, premier auteur de l’étude qui a fait son doctorat dans le laboratoire de Cathrin Brisken. Ce nouveau modèle lui a permis d’étudier les cellules dormantes dans différents organes comme le poumon, le foie, le cerveau et les os, vu les similitudes entre ce modèle et les manifestations cliniques chez les femmes.
Empêcher le réveil des cellules
Les scientifiques ont observé que les cellules dormantes avaient changé d’état. Les cellules d’origine sont en effet dans un état dit «épithélial»: les cellules sont dans un ordre bien structuré, l’une à côté de l’autre, attachées entre elles notamment grâce à la protéine E-cadhérine et d’autres jonctions épithéliales.
Or les cellules dormantes sont désormais dans un état dit «mésenchymateux»: elles sont de forme allongées et pas attachées entre elles. Ces cellules dormantes ne causent aucun dégât dans l’organe où elles se trouvent. Jusqu’à ce qu’elles prolifèrent à nouveau. Donc qu’elles retrouvent leur état épithélial d’origine et qu’elles se lient à nouveau entre elles, formant des métastases. Et pour qu’elles se lient, elles ont besoin de cette protéine E-cadhérine. Ce qui ouvre des pistes pour des traitements car cibler cette protéine et l’empêcher d’agir permettrait de laisser les cellules en sommeil et par conséquent inhiberait les récidives après plusieurs années de diagnostic. C’est là ce que devrait maintenant étudier le laboratoire de la professeure Cathrin Brisken à l’EPFL.