Scandale géantDeux gérants de PetroSaudi poursuivis en Suisse dans le scandale 1MDB
Le Ministère public de la Confédération accuse les membres de la compagnie pétrolière saoudo-genevoise d’avoir détourné au moins 1,8 milliard du fonds souverain malaisien.
- par
- Michel Pralong
Le Ministère public de la Confédération (MPC) a déposé ce mardi 25 avril son acte d’accusation auprès du Tribunal pénal fédéral contre deux gérants de la compagnie pétrolière saoudo-genevoise PetroSaudi. Les deux prévenus sont soupçonnés d’avoir, dans le but de s’enrichir et d’enrichir des tiers, détourné puis blanchi au moins 1,8 milliard de dollars versé par le fonds souverain malaisien 1MDB. Les faits reprochés s’étendent sur une période de 2009 à 2015 et peuvent constituer les délits d’escroquerie par métier, de gestion déloyale aggravée et de blanchiment d’argent aggravé. Ces deux hommes ont déjà été inculpés en 2020 par la Commission malaisienne anti-corruption pour complot criminel et blanchiment de capitaux et un mandat d’arrêt international avait été émis à leur encontre.
Les deux accusés, dont l’un a la nationalité suisse, ont agi de concert avec Taek Jho Low, dit Jho Low. Ce sulfureux homme d’affaires malaisien, ami des stars et personne de confiance du premier ministre malaisien d’alors, Najib Razak, était un consultant officieux ne disposant d’aucune position officielle au sein de 1MDB. Avec lui et avec l’appui de deux gérants de 1MDB, les deux prévenus ont élaboré une proposition d’investissement qui consistait en une prétendue transaction entre le Royaume d'Arabie saoudite et la Malaisie par l’intermédiaire de son fonds souverain 1MDB. Il s’agissait d’une proposition de joint-venture entre PetroSaudi et 1MDB destinée à investir dans des opportunités économiques en Malaisie et à l’étranger.
Rencontre sur un yacht à Cannes
Afin de renforcer l’apparence que la joint-venture serait une opération d’État à État, les prévenus et Jho Low ont instrumentalisé une rencontre entre notamment Najib Razak (qui était non seulement premier ministre de Malaisie mais également ministre des Finances, président du Conseil consultatif d’1MDB et représentant de l’actionnaire unique de 1MDB) et le prince Turki bin Abdullah Al Saud, fils de feu le roi d'Arabie saoudite. La rencontre s’est tenue au mois d’août 2009 sur un yacht dans les environs de Cannes.
En se fondant sur ce qu’il croyait être une opération d’État à État (l’Arabie saoudite n’ayant en réalité pas été impliquée dans la transaction) et en ignorant l’endettement à hauteur de 700 millions de dollars de la société de joint-venture envers PetroSaudi, ainsi que le fait que PetroSaudi ne détenait pas les droits allégués sur les actifs turkmènes qu’elle prétendait apporter dans l’opération, le Conseil consultatif de 1MDB a fini par accepter la transaction. Il l’a assortie de conditions, mais elles n’ont pas été respectées par les deux gérants qui agissaient de mèche avec les prévenus et Jho LOW.
700 millions transférés dans une banque suisse
Le contrat de joint-venture entre 1MDB et PetroSaudi est conclu en septembre 2009. Il prévoit qu’en échange d’une participation actionnariale dans la société de joint-venture, 1MDB apporte 1 milliard de dollars de liquidités et PetroSaudi les actifs d’une valeur de 2,7 milliards de dollars, qu’elle ne possédait en réalité pas. Sur le montant d’un milliard libéré par 1MDB, et contrairement à ce qui avait été autorisé par Conseil consultatif de 1MDB, 700 millions sont transférés en faveur d’un compte ouvert auprès d’une banque en Suisse, au nom d’une société dont Jho Low était l’ayant droit économique. De cette somme, ce dernier a transféré 85 millions à l’un des prévenus, qui a, à son tour, versé 33 millions à l’autre prévenu. Les 300 millions restants sur le milliard de départ sont versés sur le compte de la société de joint-venture, également auprès d’une banque en Suisse. En réalité, ils ont uniquement servi les intérêts de PetroSaudi, explique le Ministère de la Confédération.
De plus, les deux prévenus, avec Jho LOW, toujours dans le but de s’enrichir personnellement et d’enrichir des tiers, ont échafaudé d’autres plans visant à amener le Conseil consultatif de 1MDB à autoriser entre septembre 2010 et octobre 2011, dans le cadre d’un prêt islamique ayant succédé à l’opération de joint-venture, des transferts de 830 millions supplémentaires, lesquels ont également été détournés. En outre, un intérêt de plus de 80 millions de dollars a été versé à 1MDB. Ce montant était en réalité prélevé sur les fonds que 1MDB avait elle-même transférés.
Une vie de luxe
En résumé, il est reproché aux prévenus d’avoir, entre septembre 2009 et juillet 2015 au moins, fait ouvrir des comptes bancaires en Suisse et à l’étranger pour y héberger des fonds, accepté de tels fonds, donné (et validé pour l’un des deux) des ordres de transfert et causé des transferts de fonds afin d’en entraver l’identification de l’origine et la confiscation. L’argent détourné de 1MDB a permis aux deux prévenus d’acquérir, entre autres, des immeubles en Suisse et à Londres, des bijoux, des parts d’entreprise, de développer les activités de PetroSaudi dont ils ont retiré d’importants revenus, et d’entretenir un train de vie dispendieux.
Ce volet suisse de l’affaire 1MDB s’inscrit dans un schéma international beaucoup plus large. Cette vaste enquête, ouverte par le MPC en novembre 2017, a nécessité outre les auditions des prévenus, des personnes à donner des renseignements et des témoins en Suisse et à l’étranger, l’examen de centaines de milliers de documents issus des boîtes électroniques de PetroSaudi et provenant de l’entraide internationale ainsi qu’une importante analyse forensique des flux financiers.
192 millions séquestrés
Le MPC déposera ses conclusions, notamment ses réquisitions quant aux confiscations des valeurs patrimoniales sous séquestre, lors de l’audience devant le TPF à Bellinzone. Ces valeurs sous séquestre se montent à un total d’environ 192 millions de francs, sans compter le séquestre d’immeubles en Suisse et à Londres.
Le Ministère de la justice des États-Unis a qualifié cette affaire comme «le plus grand cas de kleptocratie à ce jour». L’affaire avait été révélée en 2015 lorsqu’un Genevois, ancien cadre de PetroSaudi, avait fait fuiter des milliers de documents montrant comment des milliards de dollars avaient été détournés de 1MDB. Il avait été arrêté, condamné et emprisonné en Thaïlande pour vol de données, ceci sur plainte de PetroSaudi. Il a été libéré en 2016 suite à une amnistie et a été considéré par la suite comme un héros en Malaisie.
La plainte du lanceur d’alerte genevois pas prise en compte
Il a, avec son épouse, déposé une plainte pénale auprès du Ministère public du canton de Genève contre les deux prévenus de PetroSaudi ainsi qu’un tiers pour soupçons de menaces, d’extorsion et chantage, de contrainte, de séquestration et enlèvement, de mise en danger de la vie d’autrui, de calomnie, de dénonciation calomnieuse, d’induire la justice en erreur, de corruption d’agents publics étrangers, de faux dans les titres, d’organisation criminelle et de blanchiment d’argent. La plainte a été déléguée au MPC pour traitement.
Or, le MPC annonce également aujourd’hui que, après analyse, les éléments constitutifs des infractions dénoncées ne sont soit pas réalisés, que le droit de porter plainte est prescrit ou que les faits dénoncés ne font pas apparaître de soupçons suffisants. Il renonce donc à entrer en matière mais précise que cette ordonnance peut faire l’objet d’un recours au TPF.
Jho Low court toujours, Razak en prison
L’homme d’affaires Jho Low fait l’objet d’un mandat d’arrêt international mais personne ne sait où il se trouve. Nombre de ses biens ont été saisis, dont un yacht de 250 millions de dollars.
Ayant perdu les élections en 2018, le premier ministre malaisien Najib Razak a été jugé pour corruption dans son rôle dans le scandale 1MDB et condamné à 12 ans de prison. Il est actuellement incarcéré.