Mélanie Laurent: «Je n’élève pas mes deux enfants de la même façon»

Publié

Festival de CannesMélanie Laurent: «Je n’élève pas mes deux enfants de la même façon»

Découverte par Gérard Depardieu, l’actrice aux multiples casquettes est revenue lors d’une conférence sur ses débuts et a évoqué la misogynie dans le cinéma.

Fabio Dell'Anna, Cannes
par
Fabio Dell'Anna, Cannes
Mélanie Laurent ce lundi 23 mai juste avant sa conférence au Festival de Cannes.

Mélanie Laurent ce lundi 23 mai juste avant sa conférence au Festival de Cannes.

Getty Images

Mélanie Laurent vit une belle histoire d’amour avec le Festival de Cannes. Elle y a fait ses débuts en 2001 avec le film «Ceci est mon corps» pour y revenir ensuite à plusieurs reprises en tant que comédienne, réalisatrice, mais aussi membre du jury l’an dernier. L’artiste de 39 ans est à nouveau sur la Croisette cette semaine afin de parler de sa carrière et de la place de la femme dans le cinéma. Elle a été invitée par Kering pour donner une conférence ce lundi 23 mai, à laquelle lematin.ch a assisté.

La star française qui a notamment joué dans «Inglorious Basterds» de Quentin Tarantino est revenue avec humour sur la façon dont Gérard Depardieu l’a découverte à 14 ans ou encore la manière dont elle élève ses enfants. Rencontre avec l’une des plus grandes actrices françaises dans la suite d’un bel hôtel cannois.

Vous êtes actrice, réalisatrice, militante et même chanteuse. Quelle casquette préférez-vous?

J’ai mélangé ces arts pour compléter certains vecteurs afin de toujours expliquer la même chose. C’est-à-dire raconter des histoires. Qu’importe si c’est en chanson, dans un film devant ou derrière la caméra. Quand on est artiste, ce n’est pas très facile d’imposer plusieurs casquettes. On ne l’accepte pas très facilement. Je crois que j’ai eu ce culot très tôt et on a fini par s’y habituer un peu, j’espère.

Est-ce que les femmes doivent toujours se justifier quoiqu’elles entreprennent?

Il y en a tout cas moins de tendresse pour les femmes qui entreprennent beaucoup de choses. Nous sommes plus jugées et détestées. Il y a beaucoup de cruautés entre femmes, mais aussi envers elles. Ce n’est pas tous les jours facile.

D’où vous vient cette envie de faire du cinéma?

Quand je revois les films de mon enfance, je suis en robe de princesse en permanence. Je me prépare pour Cannes, je crois. (Rires.) J’aime jouer, écrire, raconter des histoires… C’est quelque chose qui s’est développé assez tôt. Surtout lorsque l’on vient d’une famille d’artistes (ndlr: sa mère est professeur de danse et son père est comédien spécialisé dans le doublage) et avec une grand-mère qui me racontait beaucoup d’histoires.

Vous écriviez très tôt?

Oui, j’avais une obsession de mettre en scène des spectacles à des anniversaires au lieu d’aller jouer à la poupée. J’ai traumatisé beaucoup d’enfants. (Rires.)

«Gérard Depardieu m’a demandé si je voulais faire du cinéma à 14 ans et j’ai répondu en balbutiant: «Euh… Ouais.» J’ai alors passé les essais du premier film qu’il a coréalisé.»

Mélanie Laurent, actrice

Les choses sont allées ensuite assez vite pour vous. La légende dit que vous avez été découverte par Gérard Depardieu.

La légende dit vrai, pour une fois. J’ai 14 ans et je vais avec une amie sur le tournage d’«Astérix et Obélix contre César». Nous sommes très loin du plateau pour ne pas déranger et j’ai Depardieu en Obélix qui vient me voir. Il s’est penché au-dessus de moi. C’était très impressionnant. Il m’a demandé si je voulais faire du cinéma et j’ai répondu en balbutiant: «Euh… Ouais.» J’ai alors passé les essais du premier film qu’il a coréalisé. (ndlr: «Un pont entre deux rives»)

Vous étiez impressionnée?

Ha oui! Je me souviens de la projection du film. Lors de ma première réplique, j’ai tellement le trac que ma voix est blanche. (Dit-elle tout bas pour montrer un exemple.) Il m’a aussi donné le meilleur conseil de ma vie pour le septième art: «Ne pas avoir peur du ridicule.»

Étiez-vous persuadée à ce moment-là que vous alliez faire ce métier pour le reste de votre vie?

Non. Mais à cet âge-là, c’est très drôle. On y croit très fort, très vite. Puis on désespère très fort, très vite. Quand on commence tôt, on est assez déconnecté. J’étais au lycée, en option cinéma, et tout le monde dans ma classe voulait faire ce métier. Je participais à un ou deux tournages par an, donc je n’étais pas souvent présente et je n’avais pas beaucoup de copains à l’école. Mes amis étaient les techniciens de cinéma.

C’était une adolescence beaucoup plus riche ou plus solitaire?

C’était une adolescence entourée d’adultes. Mais ils ont été merveilleux avec moi. Je crois que j’ai toujours aimé aller manger avec des gens de 20 ans de plus qui étaient passionnés par leur vie, plutôt que d’aller à des beuveries à 18 ans. J’ai eu l’impression d’avoir plusieurs vies assez tôt.

Quelques années plus tard, vous devenez actrice à succès.

Même si j’ai commencé très tôt, le succès est arrivé huit ans plus tard. J’ai eu le temps d’être triste et ravagée, de passer plein de castings et de sentir la compétition, d’avoir envie de changer de métier… J’ai l’impression que c’est très important dans une carrière de connaître le doute. Je me fais toujours du souci lorsqu’un jeune acteur connaît un succès fulgurant. Il faut ensuite durer et c’est très traumatisant.

Justement, quel est l’un des secrets pour durer?

Cela demande d’avoir une famille équilibrée et sympa. La mienne est super et m’accompagne partout. Elle ne part pas dans le drame et dans l’hystérie. Ils sont tous intelligents, fins et je peux parler de tout avec eux. J’ai une base très solide.

Avez-vous reçu des refus?

Au bout d’un moment, les castings, c’était toute ma vie. Il n’y en avait qu’un sur dix qui marchait. Et encore. On se connaissait toutes et on se croisait tout le temps. C’était un peu le jeu… Depuis que je suis devenue réalisatrice, j’ai remarqué que l’on me proposait moins de rôles dans des films d’auteur. De peur, peut-être, que je prenne le pouvoir? Je m’en suis rendu compte il n’y a pas si longtemps.

On s’est tellement habitué à cette misogynie qu’on ne s’en rend même plus compte.

Mélanie Laurent, actrice

Comment vous êtes-vous lancée dans la réalisation?

À 18 ans, j’avais déjà envie de réaliser un film et personne ne m’a suivi. Plus tard, Bruno Levy, qui était directeur de casting pendant des années ainsi que le voisin de mes parents m’a dit: «Il faut que tu sois réalisatrice, je te produis ton premier film.» A 23 ans, je ne suis pas sûre que j’aurais eu le courage de me lancer seule. Il a produit «Les adoptés», sorti en 2011, puis il a aussi foncé sur mon deuxième projet, «Respire».

La réalisation pour une femme, est-ce un parcours semé d’embûche?

Pas de mon expérience, mais je sais que oui. Même si en France, on a beaucoup de grandes réalisatrices et cela ne semble pas forcément compliqué pour elles. D’ailleurs, elles le disent. Tandis qu’aux États-Unis, c’était impossible. Mes amies américaines galéraient pendant des années. Et maintenant, il y a tellement d’options. Cela fait du bien de voir ces femmes qui étaient dans l’ombre et qui ont du talent s’épanouir. Par exemple en obtenant un gros budget. Après, est-ce que l’on a un aussi gros budget que les hommes? Non. Est-ce que l’on a un salaire aussi important que les hommes? Non. Est-ce que l’on me prend au sérieux avec mon projet de film d’action? Pas toujours. Il reste du chemin…

Comment se passent les réunions pour votre film d’action?

Il n’y a que des hommes. On me parle de motos, de quads et de flingues… Il faut que je fasse semblant de tout connaître. C’est aussi ça être réalisatrice: prétendre avoir réponse à tout.

La misogynie est-elle aussi répandue qu’on le dit dans le cinéma?

Je vais répondre quelque chose de terrible: on s’est tellement habitué qu’on ne s’en rend même plus compte. Même si on a du tempérament, cela n’empêche pas les réflexions. Après, c’est un long débat très compliqué. La misogynie est là, partout et tout le temps. Quand on est jeune, quand on réussit, quand on veut amoindrir votre élan, quand elle est cachée derrière de la politesse ou de la jalousie… Les questions sont: «Sommes-nous nées avec ça?» et «Sommes-nous devenues assez fortes pour finalement dire stop et inverser les rapports entre les hommes et les femmes?»

Faites-vous partie de ces femmes qui ont dit stop?

Non. J’ai juste soutenu ce mouvement en ayant mes propres convictions et mon propre féminisme. Nous ne sommes pas obligées d’être toutes féministes de la même manière. Nous avons encore ce droit.

«J’ai aussi eu un moment dans ma carrière où j’ai été très impressionnée par un homme du milieu du cinéma. Il m’a crié dessus et je me suis complètement décomposée.»

Mélanie Laurent, actrice

Et sur les plateaux comment ça se passe?

Il m’arrive encore d’assister à des scènes insensées sur certains tournages. Elles ont toujours existé. La seule différence, c’est que cela ne se disait pas. C’est incroyable qu’entre actrices, on ne se soit pas parlé. On se fait souvent traiter d’hystériques aussi. On peut encore nous dire: «Ce n’est pas bon jour du mois?» Cette phrase est dingue. J’ai aussi eu un moment dans ma carrière où j’ai été très impressionnée par un homme du milieu du cinéma. Il m’a crié dessus et je me suis complètement décomposée.

C’est arrivé souvent?

On ne m’a pas beaucoup emmerdé. Jeune, on m’a énormément crié dessus. Puis cela a changé. Il y a eu un film où ça se voyait dans mon regard que c’était fini. Il y a un moment dans la vie, j’ai compris un truc très simple: on peut dire non et personne ne vous fera quoi que ce soit.

Vous êtes mère d’un garçon de 8 ans et d’une fille de 2 ans, les éduquez-vous de la même manière?

Je ne les élève pas de la même façon. C’est terrible! Je veux que ma fille apprenne à se débrouiller beaucoup plus. C’est nul et en même temps, c’est bien pour elle. Je veux qu’elle fasse des arts martiaux dès que possible afin qu’elle puisse tuer à mains nues. (Rires.) Les femmes doivent être plus fortes, car elles endurent plus de choses. C’est inacceptable d’avoir la peur au ventre au quotidien car on est une femme.

Ton opinion