ParisLe procès hors norme des attentats du 13-Novembre va s’ouvrir
Douze des vingt accusés encourent la réclusion criminelle à perpétuité. Trois accusés comparaîtront libres. Le procès est prévu jusqu’en mai 2022.
Des «kamikazes» au Stade de France, des terrasses de bars et la salle du Bataclan mitraillées: six ans après les attentats jihadistes du 13-Novembre, la justice replonge à partir du 8 septembre et pour près de neuf mois dans l’horreur de ces crimes de masse.
Sous sécurité maximale, la Cour d’assises spéciale de Paris va juger vingt accusés, dont Salah Abdeslam, le seul survivant des commandos téléguidés par le groupe État islamique (EI) qui ont fait 130 morts et plus de 350 blessés à Paris et Saint-Denis, et profondément traumatisé tout un pays.
Ce procès titanesque, hors norme par le nombre de parties civiles (près de 1800), sa charge émotionnelle et sa durée, a nécessité deux ans de préparation et la construction d’une salle d’audience ad-hoc au cœur de l’historique palais de justice de la capitale.
Tenir un procès de cette ampleur jusqu’à son terme – prévu à ce stade le 25 mai 2022 – constitue un défi inédit pour l’institution judiciaire, particulièrement en temps de pandémie et de menace terroriste toujours élevée.
«C’est un Everest qu’on va devoir grimper avec de petits chaussons», redoute Me Jean Reinhart, l’avocat de l’association 13onze15 Fraternité-Vérité et d’une centaine de parties civiles.
Seule une partie – quelque 300 – des proches de victimes et rescapés des attaques, les plus sanglantes de l’après-guerre, témoignera.
Face à la cour et aux quatorze accusés présents – six sont jugés par défaut – les victimes raconteront à la barre pendant cinq semaines, de fin septembre à fin octobre, cette nuit d’épouvante et ses séquelles, des drames personnels mêlés à un effroi collectif.
«Faire rentrer l’humanité»
«Chacun a ses propres attentes, mais on sait que c’est un jalon important pour notre vie d’après», estime Arthur Dénouveaux, rescapé du Bataclan et président de l’association Life for Paris. Ces prises de parole vont «faire rentrer l’humanité dans le procès», il faudra accepter certains «débordements» d’émotions, prévient-il.
Il est 21h16 ce vendredi 13 novembre 2015 quand le pays bascule dans la terreur: un «kamikaze» vient de se faire exploser près du Stade de France, où se joue un match amical France-Allemagne.
Puis au cœur de Paris, deux commandos de trois hommes mitraillent à l’arme de guerre des terrasses de bistrots et tirent sur la foule d’un concert au Bataclan, où l’assaut sera donné peu après minuit.
Deux assaillants sont en fuite, la traque s’organise. Elle durera cinq jours: Abdelhamid Abaaoud, un des jihadistes francophones les plus recherchés et chef opérationnel des attentats, et son complice sont tués le 18 novembre lors de l’assaut de la police dans un immeuble de Saint-Denis où ils s’étaient retranchés.
Alors que la France pleure ses morts, ferme ses frontières et décrète l’état d’urgence, une enquête tentaculaire commence, avec l’étroite collaboration de la justice belge.
Quatre années d’investigations ont permis de reconstituer une grande partie de la logistique des attentats, du parcours à travers l’Europe des membres des commandos, revenus de Syrie par la route des migrants, à leurs planques louées en Belgique et près de Paris.
L’enquête met au jour une cellule jihadiste bien plus importante derrière ces attaques, celle qui a également frappé l’aéroport et le métro de Bruxelles le 22 mars 2016, faisant 32 morts.
«Pas un procès d’exception»
En l’absence du donneur d’ordres, le vétéran du jihad Oussama Atar, et d’autres hauts gradés de l’EI, dont les frères Fabien et Jean-Michel Clain, présumés morts et jugés par défaut, tous les regards seront tournés vers Salah Abdeslam et Mohamed Abrini, «l’homme au chapeau» des attentats de Bruxelles.
La cour, qui ne les interrogera pas avant 2022, arrivera-t-elle à lever les dernières zones d’ombre du dossier, à commencer par le rôle exact joué par Salah Abdeslam?
Resté mutique pendant l’instruction, le Franco-Marocain de 31 ans parlera-t-il? Sa défense ménage le suspense et les parties civiles se préparent déjà à se heurter à un mur de silence.
«Ce procès promet d’être chargé en émotions, la justice se devra toutefois de les tenir à distance si elle ne veut pas perdre de vue les principes qui fondent notre État de droit», mettent en garde les avocats de Salah Abdeslam, Olivia Ronen et Martin Vettes.
«Nous veillerons à ce que ce procès exceptionnel ne devienne pas un procès d’exception», soulignent-ils.
«S’il est essentiel que tous les acteurs de ce procès puissent s’exprimer, les victimes ayant besoin que leur douleur soit entendue, il ne faut pas perdre de vue que c’est avant tout le procès des accusés, qui devront être jugés à la hauteur de leur implication respective et au regard de leur parcours et de leur personnalité propres», renchérit une autre avocate de la défense, Léa Dordilly.
Hollande témoignera
Douze des vingt accusés encourent la réclusion criminelle à perpétuité. Trois accusés, contre lesquels pèsent les charges les moins lourdes, comparaîtront libres sous contrôle judiciaire.
Plus d’une centaine de témoins ont été cités, dont de nombreux enquêteurs français et belges, et l’ex-président François Hollande.
Ce procès sera le deuxième en matière de terrorisme, après celui des attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher, à être intégralement filmé au titre des archives audiovisuelles de la justice.