CommentaireCoup de gueule: mais arrêtez de massacrer le football!
Patron de la FIFA, Gianni Infantino milite pour un Mondial organisé tous les deux ans en avançant des arguments financiers. Son cher projet revient à banaliser l’exceptionnel au nom du dieu pognon.
- par
- Nicolas Jacquier
Avec l’appui acquis de quelques complices, Gianni Infantino en a fait son triste dada: le patron suisse du football mondial veut imposer une Coupe du monde biennale, organisée tous les deux ans - et, à ce rythme, pourquoi pas chaque année, comme les hockeyeurs...
En début de semaine, le président de la FIFA a gesticulé pour faire comprendre les immenses bienfaits et retombées de sa révolution du calendrier. En parfait bonimenteur, il en a fait des tonnes, n’hésitant pas à sortir de grosses ficelles pour embobiner son auditoire. Un rôle de composition dans lequel il excelle et qui le rend déroutant.
Un sacrilège
Parce que Gianni Infantino jongle mieux avec les chiffres qu’avec un ballon. Il défend l’amour du pognon avant celui du jeu. Son supposé rêve s’impose comme une calamité à nos yeux. Ce qui est exceptionnel, rare et attendu tous les quatre ans depuis 1930 doit le rester. S’attaquer au plus grand événement sportif de la planète pour en modifier le calendrier, c’est commettre un sacrilège.
Pour faire passer sa réforme - et avaler plus facilement la pilule dorée -, le successeur de Blatter n’est pas venu seul. Il n’a pas manqué d’exhiber les conclusions d’une étude du cabinet américain Nielsen (mandaté très opportunément par la FIFA) selon lesquelles l’organisation d’un Mondial disputé les années paires assurerait des revenus supplémentaires de 4,1 milliards de francs. Ben voyons… Largement de quoi arroser en retour les 211 Fédérations - au décompte final, chacune d’entre elles encaisserait un pactole enrichi de quelques 18 millions de francs répartis sur quatre ans. A l’heure du vote, cela peut faire réfléchir plus d’un dirigeant, on vous le concède.
Arroser les Fédérations
C’est là toute la perversité d’un système basé sur le seul profit. A la FIFA, où les arguments sont davantage financiers que liés à la santé des acteurs, on ne parle que fric. Or le football n’est pas (ou pas encore, dans la mesure où certains aimeraient qu’il le soit) un produit dérivé, soumis à la cotation des bourses mondiales. Il n’est pas davantage une valeur refuge permettant de s’en mettre plein les poches.
Il doit rester ce que des millions de fans - et pas de francs! - aiment et trouvent en lui: un jeu universel devant urgemment échapper à l’avidité des spéculateurs qui souhaiteraient l’éloigner de ce pour quoi il a été conçu.
Curieusement, l’offensive de la FIFA ne fait nulle part mention de la méthodologie employée pour ce qui est de l’étude présentée ni des conséquences pour les différents championnats nationaux, dont l’impact, par effet domino, pourrait être lourdement sanctionné, avec des pertes colossales que se gardent bien d’évoquer les chantres d’une banalisation du Mondial - a-t-on seulement pensé aux effets pernicieux de l’habitude? Qui aimerait ainsi s’empiffrer de caviar tous les jours?
L’otage des businessmen
Peut-être est-on vieux jeu, sinon même dépassé. C’est possible mais qu’importe. Quoi qu’il en soit, on a malgré tout le sentiment que le football, à son tour dépassé, est devenu l’otage des marchands de rêve, qui, au prétexte de la liberté de commerce, sont prêts à le sacrifier sur l’autel de la rentabilité extrême. Stop messieurs, arrêtez de massacrer le football en mettant celui-ci aux enchères. Allez faire votre business ailleurs ou… plus discrètement comme c’est le cas au CIO.
Dans cette guerre déclarée sur fond d’expertises plus ou moins crédibles, il s’agit de ne pas être dupe non plus. Le projet porté par Gianni Infantino d’un Mondial biennal se heurte de plein fouet aux fortes réticences de l’UEFA, qui y est plus qu’hostile. L’instance basée à Nyon n’a d’ailleurs pas manqué de brandir sa propre étude, aux conclusions – cela vous étonne-t-il? - diamétralement opposées (avec des pertes fracassantes pour les Associations européennes). Un cabinet d’audit sollicité par l’UEFA les estimerait même entre 2 et 3 milliards de francs pour la même période.
Alors que le bras de fer risque de se poursuivre quelques mois encore, plusieurs Fédérations nordiques ont déjà menacé de quitter le giron de la FIFA si son boss s’entêtait à vouloir faire passer son projet coûte que coûte.
Pourtant, tout pourrait se décider et être voté à la fin mars déjà, lors du prochain congrès de la FIFA qui doit se tenir au Qatar. A Doha, Gianni Infantino marchera peut-être sur des œufs, mais il est déjà conscient de la valeur inestimable de la poule d’or que représente sa réforme.
Il est encore temps de lui signifier un vaste non merci!