InterviewKevin Germanier à la Fashion Week: «Je suis fier de moi pour la première fois»
Le styliste valaisan a fait ses débuts à la Semaine de la mode parisienne cette semaine en présentant 31 looks retraçant l’histoire de sa marque. Il se confie avec émotions.
- par
- Fabio Dell'Anna
Doucement mais sûrement. C’est ainsi que l’on pourrait résumer l’ascension de Kevin Germanier dans le milieu de la mode. Le Valaisan de 30 ans vient tout juste de vivre sa première Fashion Week parisienne en tant que styliste avec sa marque Germanier. Il a présenté 31 tenues à la Maison Baccarat, située dans le XVIe arrondissement.
Au bout du fil, il se souvient ému de son enfance lorsqu’il habillait sa petite sœur avec des draps. Le créateur a intégré ensuite une école prodigieuse à Londres et s’est créé un style coloré et singulier en recyclant des tissus dont personne ne voulait. «Je ne me souciais pas de l’environnement, mais je n’avais pas d’argent», précise-t-il. Ce détail deviendra finalement sa marque de fabrique et le propulsera parmi l’un des designers le plus en vue du moment. Rihanna, Lady Gaga, Björk ou encore Taylor Swift portent ses créations, mais hors de question pour le Romand de prendre la grosse tête. Il répond à nos questions avec beaucoup d’humilité et prouve qu’il sait garder les pieds sur Terre.
Comment s’est déroulé votre premier défilé à la Fashion Week de Paris?
Sur le moment même, les créateurs ne voient pas grand-chose, car on lance les filles sur le podium. Mais les retombées médiatiques et les résultats des ventes qui ont suivi sont très bons. Tout était parfait. C’est la première fois que je suis fier de moi. Il y avait une belle énergie, même dans les coulisses. J’ai été touché de voir qu’il y a un retour à l’humanité dans la mode. Les gens étaient ravis d’être sur place et on ressentait de bonnes ondes.
Parlez-nous de la collection que vous venez de présenter.
En tout, nous avions une quarantaine de looks. Nous avons pris la décision d’en présenter 31 pour avoir un rendu plus qualitatif. Il faut aussi savoir que certaines personnes allaient être introduites au monde Germanier pour la première fois. J’ai donc repris tous les classiques de la marque: les broderies au silicone, les grosses robes en plume, les tricots de mon équipe valaisanne et une petite nouveauté avec le crochet avec des perles. Toutes ces techniques que nous réalisons depuis le début ont été mises en valeur.
Qui est cette équipe valaisanne?
Tout a commencé lorsque ma mère s’endormait devant «Top Chef». Elle s’est alors proposé de tricoter pour moi. Ma grand-maman Simone a suivi le pas. De fil en aiguille, elles sont aujourd’hui 16, dont la prof de yoga de ma maman, mes tantes, mes cousines, la belle-mère de ma sœur… C’est devenu une petite communauté qui travaille pour réaliser les tricots de Germanier.
Une vraie entreprise familiale, non?
Oui, c’est ça. Les gens doivent penser que je fais des robes en plume, mais au final je suis chef d’entreprise. Je ne suis pas avec un bout de papier en train de dessiner toute la journée. Cette image du designer est aujourd’hui complètement fausse.
Designer était le seul métier qui vous intéressait?
Je veux faire ça depuis que j’ai 3 ans. J’essaie toujours de trouver une histoire fun, mais elle est très clichée. Petit, j’habillais ma petite sœur avec des draps. J’avais aussi un intérêt pour l’anatomie. Je voulais savoir comment fonctionnent les muscles… J’ai ensuite intégré une année préparatoire à Genève en mode et je suis parti à la Central Saint Martins de Londres.
Les plus grands couturiers sont diplômés de cette école, comme Stella McCartney ou encore John Galliano. Quels souvenirs en gardez-vous?
Je n’y ai rien appris, sauf à survivre. Finalement, c’est le plus important que l’on puisse nous inculquer. Nous étions tout le temps livrés à nous-mêmes. Il y a une raison pour laquelle c’est la meilleure école du monde. Je suis arrivé en petit Suisse constipé et je suis ressorti avec la collection la plus colorée. Ils ont quand même débloqué pas mal de choses.
Les études étaient compliquées?
Ils font exprès de nous donner énormément de travail pour que l’on apprenne à prioriser. Mais je n’ai pas été éduqué ainsi. En Suisse, on nous dit que l’on doit être parfait partout. Ces études m’ont bousculé. Je me rappelle qu’un prof m’avait un jour mis un F (ndlr: la moins bonne note) alors que j’avais rendu le travail. J’avais fait nuit blanche pour tout produire. Il m’a dit: «C’est très bien, mais je pense que ça peut te faire du bien d’être confronté à l’échec». Ça m’avait tellement saoulé. Mon cerveau suisse n’arrivait pas à comprendre ce qu’il se passait. J’ai ensuite compris que l’échec fait partie aussi du business et que c’était une bonne leçon. Finalement, je préfère apprendre de mes erreurs à l’école plutôt qu’à mon premier show.
Vous pensiez déjà à Germanier durant vos années de Bachelor?
Non, je n’ai jamais voulu avoir ma propre marque. Avant même d’avoir mon diplôme, Louis Vuitton m’avait offert un job. C’était un peu mon rêve de petit garçon qui se réalisait. J’ai accepté tout de suite, mais j’avais promis à ma mère de terminer mes études. Comme j’avais une sécurité au niveau de l’emploi, je me suis permis d’être un peu plus fou dans ma collection présentée à la fin de l’année scolaire. Puis quand j’étais chez Louis Vuitton, j’ai toujours créé quelques vêtements pendant mon temps libre. Alexandre Capelli, directeur adjoint en environnement chez LVMH, m’a dit: «C’est trop con! Tu fais tous ces looks et personne ne les voit. Allez! Exposons-les.» C’était très petit. Une acheteuse est venue et elle a tout pris. C’était le début de Germanier.
Vous n’utilisez que des produits recyclés pour votre marque. C’était une évidence d’en faire votre ADN?
Non. Quand je suis arrivé à Londres pour étudier, je n’avais pas beaucoup d’argent. Les frais d’écolage étaient déjà très chers. Au lieu d’acheter du coton blanc à 6 francs le mètre, j’allais chez Caritas ou Emmaüs prendre un drap en coton blanc à 1 franc les deux mètres. Au final, c’est mon côté suisse à vouloir gérer mon porte-monnaie qui m’a dirigé vers l’upcycling (ndlr: le surcyclage). Mon but n’a jamais été de sauver la planète. Je suis très franc à ce sujet. C’est arrivé, car je n’avais pas le choix. C’était plus simple d’acheter des déchets que des tissus neufs.
Désormais vos looks sont portés par de nombreuses célébrités comme Björk, Taylor Swift, Rihanna ou encore Lady Gaga. Quel effet cela vous fait?
C’est très éphémère aussi. Attention, je ne suis pas du tout ingrat. Cela signifie que je suis tout aussi heureux de voir ma maman habillée en Germanier lorsqu’elle vient à mon show que de voir Lady Gaga porter ma tenue. Par exemple, j’ai beaucoup plus de «j’aime» sur Instagram lorsque je poste une photo de ma mère avec ma grand-mère que lorsque je publie un cliché d’une célébrité. Les gens ont besoin d’authenticité. Il faut arrêter de croire que si Beyoncé n’a pas porté tes tenues, tu n’es pas pertinent. Je suis désolé, Beyoncé ne fera pas mon chiffre d’affaires. Il y a des marques pas très connues qui marchent très bien, car elles ont un très beau produit. En tant que jeune designer parfois on culpabilise de ne pas collaborer avec de grandes stars. Au final, ces célébrités te permettent d’avoir des retombées que pour 24 heures. Le plus important est d’avoir un produit de qualité. Le reste suivra.