Cinéma: «Sans filtre»: une Palme d’Or en partie romande

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Cinéma«Sans filtre»: une Palme d’Or en partie romande

Co-producteur du lauréat du Graal des festivaliers, le Genevois Dan Wechsler nous retrace les différentes étapes de son travail. Le film sort ce mercredi 28 septembre sur les écrans romands.

Christophe Pinol
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Christophe Pinol
La regrettée comédienne Charlbi Dean Kriek et le comédien Harris Dickinson.

La regrettée comédienne Charlbi Dean Kriek et le comédien Harris Dickinson.

Xenix Film

En mai dernier, le président du jury du 75e Festival de Cannes, Vincent Lindon, remettait la Palme d’Or au film suédois «Sans Filtre» (voir encadré), qui sort ce mercredi 28 septembre sur les écrans romands. Un prix remis à la surprise générale, non seulement parce que le long métrage avait largement divisé les festivaliers, mais surtout parce que le cinéaste, Ruben Östlung, en avait déjà remporté une autre, de Palme, à peine 5 ans auparavant, avec son précédent film, «The Square».

Toujours est-il que «Sans filtre» n’aurait pas tout à fait la même saveur sans l’aide apportée par le producteur genevois Dan Wechsler, avec déjà près de 60 coproductions à son actif. Un rien stakhanoviste – il présente actuellement 4 films au Festival du Film de Zurich («Sans filtre», «La femme de Tchaïkovski» de Kirill Serebrennikov, «A Forgotten Man» de Laurent Nègre et «Rimini» d’Ulrich Seidl), il nous raconte sa façon de travailler et ce qu’il apporté à cette Palme d’Or.

Manière de travailler «Pour moi, tout commence par un intérêt pour un réalisateur. J’avais découvert Ruben Östlund avec «Force majeure», que j’avais beaucoup aimé, et ça m’a donné envie de collaborer avec lui parce que sa vision de cinéaste et son langage m’intéressent. L’idée étant, avant tout, de soutenir un créateur et surtout pas d’intervenir sur son travail. Et il se trouve que son producteur attitré, celui qui l’accompagne sur tous ses films, Erik Hemmendorff, est quelqu’un que je côtoie en festival depuis des années. Ça a donc été assez simple d’entrer en discussion».

Le producteur genevois Dan Wechsler.

Le producteur genevois Dan Wechsler.

Archives TXGroup/TDG/Magali Girardin

Premier contact «On est en mai 2018, au Festival de Cannes, un an après la Palme d’Or de «The Square». En fait, j’avais déjà essayé d’entrer en production sur ce film mais je n’avais pas réussi à réunir les fonds à temps pour participer à l’aventure. Là, c’est d’abord le producteur de Ruben, Erik, qui me parle du projet sur une terrasse du festival. L’idée m’a plu et on est alors entré en discussion. On a commencé à préciser la façon dont j’allais m’insérer dans la structure de financement, quel montant je pouvais apporter, quels droits j’obtenais en échange… Sur un budget total de 13 millions d'euros, mon apport ne constitue qu’un faible pourcentage – entre 2 et 3% – mais chaque investissement est crucial dans la production d’un film. Là, il s’agit d’argent privé. En tant que producteur, je me considère comme un entrepreneur. J’ai réuni les fonds auprès d’un petit groupe de personnes. Des gens qui aiment le cinéma, qui ont envie de soutenir un certain type de films et bien entendu, avant tout, des gens qui ont des moyens».

Ruben Östlund «C’est quelqu’un de très intéressant, qui a les idées très claires. Il a ses doutes, un certain égo mais il est très déterminé, très précis dans son travail. Tout ce qui est dans le film était déjà dans son scénario, de manière très précise, à quelques exceptions près. Ce qui est loin d’être le cas en général. Pour moi, l’intérêt du film réside dans son discours social, dans la manière dont le cinéaste nous raconte cette histoire, et dans le message qu’il nous adresse. Ce principe de pyramide sociale qui s’inverse, avec ce personnage féminin qui nettoie les toilettes d’un yacht destiné aux ultra-riches et qui se retrouve brusquement à diriger tout ce petit monde à un certain moment de l’histoire, c’est puissant! Et l’humour est parfois une très bonne arme pour parler des choses qui dérangent».

COVID-19 «Le début de tournage a dû être repoussé de quelques mois à cause de la pandémie. Au début, plusieurs lieux avaient été envisagés: la Thaïlande, le Mexique, la Grèce… Et puis cette dernière, en plus d’offrir des paysages qui collaient à ce qui était recherché, et une belle plage pour le 3e acte, était la moins contraignante par rapport au COVID-19. Le problème, c’est que les américains, et notamment Woody Harrelson, ne pouvaient pas voyager librement. Après, ces soucis de tournage ne m’ont pas effrayé outre mesure. Dans le cadre d’un projet plus personnel, comme pour le film de Laurent Nègre, «A Forgotten Man», où je suis producteur délégué, sur lequel on travaille depuis 10 ans et où j’ai investi chaque centime de ma poche, oui, ça aurait pu être une source d’angoisse. Mais sur une grosse machine comme «Sans filtre», gérée par des sociétés plus importantes que la mienne, ça me libère en quelque sorte de ce poids».

Woody Harrelson (à d.) dans le film «Sans filtre».

Woody Harrelson (à d.) dans le film «Sans filtre».

Xenix Film

Réception du film «La projection officielle du film au Festival de Cannes a été dingue: les gens avaient des fous rires lors de la scène d’intoxication alimentaire; à d’autres moments, ils applaudissaient à tout rompre… On a vraiment senti une communion avec le public. Après, le film a suscité pas mal de réactions différentes. Il y a ceux qui l’adorent, ceux qui l’aiment sans trop savoir pourquoi, ceux qui en ressortent déprimés après avoir été confrontés à une telle vision du monde… Certains se sentent offensés par les propos, manipulés, dérangés… Et je les comprends. Je me disais aussi que les ultra-riches allaient le prendre mal mais certains avaient encore assez de recul pour se marrer».

Palmarès «La veille de la cérémonie de clôture, les organisateurs avaient demandé à toute l’équipe de revenir pour être présent lors de la soirée. Donc tu débarques là-bas mais tu ne sais pas avec quel prix tu vas en sortir, c’est un vrai suspense. Alors à chaque prix attribué, tu te dis «Bon, le prochain va être pour nous…». Et puis non, à chaque fois, c’est un autre film qui est annoncé et petit à petit, les prix deviennent de plus en plus importants… Jusqu’au moment où ils annoncent l’avant dernier, qui ne récompense toujours pas ton film et qu’il ne reste donc plus que la Palme d’Or à attribuer. Là, tu te dis qu’ils nous ont convoqués à la soirée par erreur: Ruben a déjà eu la Palme 5 ans auparavant, il ne va pas en obtenir une autre si vite… Mais j’ai quand même surpris Erik et Ruben en train de se regarder à ce moment-là: ils avaient les yeux qui sortaient de la tête! Et puis le président du Jury a annoncé la Palme… J’étais super content, évidemment. D’autant plus que c’est la première fois que ça m’arrive. Après, je ne suis pas dans la même excitation qu’eux, qui sont forcément plus impliqués. Pendant quelques jours, tu es sur un petit nuage, c’est super gratifiant, mais ce n’est pas forcément ce que je recherche dans mon travail».

Charlbi Dean Kriek (décédée le 29 août dernier, à 32 ans) «C’est elle qui incarne le personnage principal féminin… C’est une actrice qui avait d’importants soucis de santé (ndlr: après un grave accident de voiture en 2009, elle avait subi une ablation de la rate) et elle n’a pas supporté un virus un peu violent, qui n’a rien à voir avec le COVID-19. Ça a été un choc d’apprendre sa mort. Et pourtant, je ne la connaissais pas. Je l’avais simplement rencontré à Cannes, où j’avais eu un bref échange avec elle. Mais ce film, c’était son premier rôle important, celui qui allait la révéler au grand public… Elle y est formidable, et maintenant elle n’est plus là. C’est triste».

Critique du film

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