«The Whale»: théâtre filmé, prothèses et émotion

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Cinéma«The Whale»: théâtre filmé, prothèses et émotion

Les dernières heures de Charlie, obèse morbide en quête de rédemption, nous ont laissé le cœur plutôt sec.

Jean-Charles Canet
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Jean-Charles Canet
Brendan Fraser a certes pris du poids face aux ans et aux épreuves, mais de loin pas à ce niveau. Dans «The Whale», il porte des prothèses.

Brendan Fraser a certes pris du poids face aux ans et aux épreuves, mais de loin pas à ce niveau. Dans «The Whale», il porte des prothèses.

A24

Ovationné à Venise, attendu au tournant aux Oscars (dimanche prochain, 3 nominations), «The Whale» marque le retour de Darren Aronofsky 5 ans après «Mother!» une fable onirico-biblique avec Jennifer Lawrence qui, le moins que l’on puisse dire, avait été fraîchement reçue en 2017.

La baleine du titre fait référence à Charlie, enseignant en ligne qui cache à ses étudiants son obésité morbide en prétextant la panne de sa webcam. Elle se réfère explicitement aussi au «Moby Dick» d’Herman Melville, œuvre que Charlie affectionne pour diverses raisons.

Immédiatement dans le bain

La première scène dans l’appartement de Charlie, qu’on ne quittera plus jusqu’au terme du long métrage, est extrêmement embarrassante autant pour le personnage principal que pour le spectateur. On y découvre son corps difforme, son orientation sexuelle, une masturbation (suggérée) et une visite au plus mauvais moment. Ce choc préparatoire est efficace d’un point de vue dramaturgique. Une façon de dire «vous êtes prévenus» mais aussi «vous voilà désormais prêts pour la suite».

Cette séquence succède à un étrange plan d’un bus qui laisse un passager en rase campagne et à un plan de visioconférence sur lequel s’affichent les vignettes des étudiants de Charlie. On découvre ainsi que le film est tourné au format 4:3, coquetterie de cinéphile qui ne dessert pas pour autant l’élégante et discrète mise en scène en huis clos d’Aronofsky.

Le retour d’un grand blessé

Ainsi plongés dans l’antre de Charlie, nous sommes désormais invités à une quête de rédemption d’un personnage qui sent ses dernières heures arriver. Aucun suspense ici, il n’y a que le spectateur naïf pour espérer à ce stade que Charlie puisse échapper à la visite imminente de la faucheuse. Il est servi par une distribution audacieuse qui permet à Brendan Fraser, grand blessé sur le champ de bataille hollywoodien, de revenir, si on ose dire, en grande forme.

L’acteur naguère athlétique a certes pris du poids et a été marqué par les ans et les épreuves mais il n’a pas atteint le niveau d’obésité de son personnage: le voilà affublé de prothèses qui se remarquent d’abord en tant que telles mais qui, grâce à la suspension consentie de l’incrédulité, fusionnent très vite avec le personnage. L’excellente performance de Fraser, qui montre l’étendue oscarisable de son talent de comédien, y est pour beaucoup.

Sentiments ou sentimentalité?

Du haut de ses qualités de base (bien joué, bien photographié, bien filmé, bien monté), «The Whale» est à nos yeux un film recommandable. Comment se fait-il que notre cœur soit resté plutôt sec? L’origine théâtrale du projet y a contribué sans doute mais surtout les gros sabots du texte pour exprimer la quête désespérée (et parfois désespérante) de Charlie pour regagner l’amour de sa fille rebelle nous ont laissés sur la berge. Mais gageons que ce que nous avons pris, peut-être à tort, pour de la sentimentalité saura émouvoir de plus tendres âmes.

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