Seconde Guerre mondialeL’Alsace honore les «malgré-nous», incorporés de force dans l’armée nazie
Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’Alsace et la Moselle ont été annexées par l’Allemagne, les hommes étant contraints de combattre aux côtés des nazis. Un mémorial leur rend hommage.
«Ça m’a pris quatre ans de travail»: entouré de lourds classeurs, Claude Herold (66 ans), un historien amateur, désigne les noms et visages de 12’000 «malgré-nous» portés disparus, dont le douloureux souvenir ressurgit 80 ans jour pour jour après l’incorporation de force d’une génération d’Alsaciens-Mosellans dans la Wehrmacht.
Le retraité a identifié, dans les 198 volumes et 56’000 pages de registres de disparus constitués après-guerre par la Croix-Rouge allemande, les portraits en noir et blanc de tous ceux portant la mention «E». Un «E» pour Elsass-Lothringen, l’Alsace-Lorraine en allemand. «Le nombre réel de disparus tourne plutôt autour de 10’000», précise-t-il, la sépulture de certains ayant été localisée après coup et quelques-uns ayant finalement été retrouvés.
«On voit qu’ils font la gueule», reprend Claude Herold, en montrant les visages figés de ces jeunes hommes nés entre 1908 et 1928, dont les regards fixent l’objectif après avoir été contraints de revêtir l’uniforme de la Wehrmacht ou d’intégrer, pour certains, la Waffen SS.
Un «vif intérêt»
Le 25 août 1942, une ordonnance imposa aux Alsaciens (le 29 août pour les Mosellans) de combattre pour l’Allemagne, envoyant souvent ces hommes sur le front russe, le plus meurtrier. Avant le 80e anniversaire de ce «viol des consciences», quatre associations de «malgré-nous» et leurs descendants ont fait imprimer, sur une banderole de 36 mètres de long, les visages des disparus recensés par Claude Herold. Ils l’ont brièvement exposée à la mi-août à Turckheim, près de Colmar.
L’initiative, relayée par le quotidien régional les «Dernières Nouvelles d’Alsace», a suscité un vif intérêt. «J’ai reçu plus de 150 mails et appels, beaucoup de familles veulent voir la banderole et en savoir plus sur un père, un cousin», affirme le retraité, dont trois oncles sont morts sous l’uniforme allemand.
«C’étaient des gamins!»
À Obernai, face au mont Sainte-Odile, sainte patronne de l’Alsace, une partie de la banderole a été déployée en ce 25 août, au cours d’une commémoration organisée par l’Association des évadés et incorporés de force, qui finança elle-même, dans les années 1950, la grande croix blanche tournée vers l’est qui domine la ville. Roger Keck, 78 ans, se penche sur la banderole pour photographier le visage de son oncle, Alphonse Hartheiser, qui s’était amputé d’un doigt pour tenter d’échapper à l’incorporation à la fin 1944. «Sa famille n’a plus eu de nouvelles du jour au lendemain, on suppose qu’il a été fusillé, sans jugement, et que les Allemands ne s’en sont pas vantés.»
«C’étaient des gamins, certains n’avaient que 16 ou 17 ans», s’émeut Gérard Michel, président de l’Association des orphelins de pères malgré-nous d’Alsace-Moselle, dont le propre père a péri en Pologne. «C’est le mur des noms que l’on a toujours souhaité. En plus, il est mobile.»
La perspective de voir se succéder, par ordre alphabétique et sur le même monument, les noms de victimes civiles, dont des juifs déportés et de «malgré-nous», parmi lesquels certains ont pu participer à des crimes de guerre, avait suscité une vive polémique mémorielle.