Football: Chanter «UEFA mafia» relève-t-il de la liberté d’expression?

Actualisé

FootballChanter «UEFA mafia» relève-t-il de la liberté d’expression?

Le président de Bergen (Nor) s’insurge dans une lettre ouverte de l’amende reçue de l’UEFA par son club pour des chants assimilant l’organisation à une mafia. Illégal, affirme-t-il.

Adrien Schnarrenberger
par
Adrien Schnarrenberger
Plusieurs centaines de supporters ont encouragé Brann en quarts de finale de la Ligue des champions.

Plusieurs centaines de supporters ont encouragé Brann en quarts de finale de la Ligue des champions.

AFP

Une tribune pour défendre les tribunes. Dans le «Guardian», le président du club norvégien du SK Brann, Aslak Sverdrup, a pris sa plume virtuelle pour dénoncer l’UEFA. Sa formation a en effet écopé d’une amende de 5000 euros (4880 francs) après un match féminin, le 31 janvier.

Ce jour-là, Brann recevait à Bregen les Autrichiennes de St. Pölten, pour le compte de la Ligue des champions féminine. A la clé, une victoire 2-1 des joueuses locales, arrachée dans les arrêts de jeu. Spectaculaire, mais rien de bien original jusqu’ici.

Sauf qu’un chant «UEFA Mafia» est descendu des tribunes après l’oubli par l’arbitre d’un coup franc pour les Norvégiennes. Brann a donc écopé de 5000 euros (4850 francs) d’amende, au motif qu’il s’agit d’une infraction à l’article 16 du règlement de discipline de l’UEFA, qui régit l’ordre durant les rencontres et punit la discrimination.

Pas applicable aux personnes morales

C’est beaucoup d’argent pour le foot féminin, cette somme correspondant à 10% des revenus d’un match de C1, selon le président du club basé à Bregen. Mais c’est davantage pour le principe que Aslak Sverdrup veut lutter jusqu’au bout sur cette décision, injustifiée selon lui.

Le motif de la discorde? La notion de liberté d’expression, et son interprétation en droit. «Venant d’un pays qui accorde une très grande valeur à la liberté d’expression, nous sommes profondément préoccupés par le fait que cette valeur soit pénalisée par le plus haut niveau du football européen», écrit le président de Brann.

Aslak Sverdrup a visiblement bien fait ses devoirs, puisque sa tribune est très étayée juridiquement. «Dans un monde du football où règnent racisme, homophobie, misogynie et discrimination, il est essentiel de protéger les groupes vulnérables, concède l’homme fort du meilleur club de Norvège. Mais est-ce que l’UEFA a vraiment besoin de cette protection?»

Une question rhétorique, puisque l’auteur apporte lui-même la réponse: non, l’organisation basée à Nyon (VD) n’a pas besoin d’être protégée. Car la liberté d’expression est un droit humain fondamental; les personnes morales ne sont pas concernées, rappelle l’homme d’affaires qui a dirigé notamment l’aéroport et l’aquarium de Bergen.

Il y avait un «contexte»

De plus, sur le fond, il ne faut pas interpréter les chants comme le fait que l’UEFA soit réellement impliquée dans une mafia ou le crime organisé. «Il faut toujours remettre les chants dans un contexte, à savoir celui d’un endroit où les émotions sont exacerbées et ou les expressions sont subjectives et souvent de nature satirique», estime Aslak Sverdrup.

Lequel ne peut s’empêcher de lancer une vive pique à l’organisation européenne: «Lorsque l’UEFA mettra son énergie à soutenir comme il faut la liberté d’expression là où il le faut, alors s’intéresser à de tels chants deviendra tout de suite moins intéressant et moins fréquent», prédit le président de Brann.

Sous sa houlette, la ville de l’ouest de la Norvège s’est rapidement fait un nom dans le foot féminin. Après 114 de ses 116 années d’existence sans mouvement dévolu aux femmes, Brann a décidé de corriger le tir en 2022 avec l’acquisition de Sandviken, ce qui se fait de mieux en la matière en Norvège. «Nous avons suscité un grand engouement, avec 600 personnes à Barcelone par exemple». se réjouit le dirigeant de 51 ans.

Au chapitre du droit, la sanction semble d’autant plus difficile à accepter parce que l’UEFA est juge et partie dans de tels cas. «Il est particulièrement problématique qu’elle puisse juger et fixer elle-même des sanctions», critique le président de Brann.

Il y avait un «contexte»

Chez les hommes, le club a été 3 fois champion de Norvège (1962, 1963 et 2007) et a échoué l’an dernier en barrages de la Conference League contre Alkmaar (P-B). Il a déjà croisé la route de clubs suisses à plusieurs reprises, notamment Bâle en 2000 et 2007 (Coupe de l’UEFA), GC en 1998.

La formation est le fruit d’une absorption réussie de Sandviken, rachetée en 2022. La formule a aussitôt fait recette: plus de 10’000 personnes ont assisté au titre national dès la première année de la nouvelle mouture. Et 600 personnes sont récemment allées à Barcelone pour la Ligue des champions. A domicile, le stade a affiché guichets fermés après quelques minutes seulement, du jamais-vu pour du foot féminin.

De quoi rendre fier le président, qui a mis en place l’égalité salariale dans son club. «Nous sommes l’une des seules formations où les supporters suivent aussi bien les femmes que les hommes, souligne Aslak Sverdrup, non sans fierté. Nous défendons Bergen comme nous pouvons et nous chantons ce que nous voulons!»

Il est scandaleux, insiste l’homme dort de Brann («incendie», littéralement) que l’UEFA se permette de prononcer des «sanctions disproportionnées, qui étouffent l’enthousiasme pour le football que l’UEFA aspire à susciter».

Ton opinion

13 commentaires