Mer MéditerranéePlongée dans les secrets d’une épave au large de la Corse
Au large d’Ajaccio, repose une épave anonyme. Des scientifiques mènent l’enquête pour découvrir comment le navire du XVIe siècle est arrivé tout près de la Corse.
Découverte en 2005 en mer Méditerranée, au large de la Corse, l’épave «Sanguinaires C», de son nom de code, garde ses secrets, malgré plusieurs campagnes de fouilles. Mais une véritable «enquête archéologique» a été lancée pour tenter de lever le mystère, avec des scientifiques français, italiens et suédois. Ce navire du XVIe siècle gît au large d’Ajaccio, au sud-ouest de l’île de Beauté.
Résoudre ce Cluedo sous-marin pourrait fournir «un éclairage sur la fondation génoise d’Ajaccio, à la fin du XVe siècle, et sur le commerce maritime entre l’Europe du Nord et le monde méditerranéen du début du XVIe siècle», s’enthousiasme Marine Sadania, du Département français des recherches archéologiques sous-marines (Drassm). D’autant que «les archives du XVIe siècle sont assez rares», précise cette archéologue, coresponsable de la nouvelle campagne de fouilles (2021-2023).
Construction particulière
«Témoin exceptionnel» de cette époque, l’épave de ce bateau au nom inconnu gît par 19 mètres de fond, près des îles Sanguinaires, recouverte par son énorme chargement de pierres, une masse de 18 mètres de long, douze de large et 2,8 de haut. «Dans cette enquête archéologique, chaque indice compte», souligne Marine Sadania: «On a identifié les pierres, c’est du calcaire dolomitique utilisé pour faire de la chaux.»
Des échantillons vont être comparés à «des référentiels dans un laboratoire génois, qui pourra dire si les pierres viennent ou non de Gênes», sur la Riviera italienne. Mais c’est aussi la construction du navire, dite «à clin», qui a éveillé les curiosités. «C’est un assemblage particulier de la coque, propre à l’Arc atlantique, la Manche, la mer du Nord et toute l’Europe du Nord, rarissime sur le territoire national, et en Méditerranée, c’est juste exceptionnel», insiste la chercheuse.
La Marine nationale est de la partie
Selon la préfecture maritime, ce n’est que «la troisième épave à clin découverte sur l’ensemble du pourtour méditerranéen». «Ce bateau n’a donc pas été construit en Méditerranée, sauf si on a le scoop du siècle, mais on n’y croit pas trop», avance cette Sherlock Holmes des fonds marins.
«On a trouvé un bateau aux mêmes caractéristiques de construction en Suède, il faut donc qu’on aille voir», c’est pourquoi «on établit des collaborations avec des chercheurs suédois», précise-t-elle.
Pour cette nouvelle campagne de fouilles, après des sessions en 2018, 2019 et 2020, la Drassm a sollicité l’aide de la Marine nationale et de ses plongeurs-démineurs, «pour enlever la partie supérieure du chargement de pierres et laisser juste une couche qui protège l’épave». «On a une compétence en matière de plongée et de désenfouissement d’objets, et c’est toujours intéressant de faire des activités qui sortent un peu de l’ordinaire», explique Gilles Boidevezi, le préfet maritime de la Méditerranée.
Ajaccio comme probable destination
Une certitude, le bateau n’a pas atteint sa destination, sans doute Ajaccio. Mais d’où venait-il? S’il est venu d’Europe du Nord, «il est nécessairement passé par Gibraltar, mais a-t-il fait escale à Cadix, à Bayonne ou en Bretagne? Pourquoi se retrouve-t-il en Méditerranée? Et quelles sont les circonstances de son naufrage?» s’interroge la scientifique.
Le coresponsable de cette campagne, Hervé Alfonsi, de l’Association pour la recherche archéologique sous-marine, avait déjà sorti des céramiques du XVIe siècle venant de la Ligurie, de Pise et Gênes, aujourd’hui étudiées par des céramologues de l’université d’Aix-Marseille. De même, des fonds de petits tonneaux en bois ont été retrouvés, qui servaient au stockage des denrées alimentaires à bord.
Rarissime compas
Deux ancres, deux grandes meules et des «concrétions ferreuses» gardent, elles, leurs secrets: «Les Génois fabriquaient beaucoup de fer au XVIe siècle et le distribuaient en barres, on soupçonne que ce soit ça», avance Marine Sadania.
Une autre découverte fait briller les yeux de la scientifique: «le couvercle d’une boîte de compas de navigation! Rarissime! Un élément comme celui-là, en France, issu de fouilles de cette période-là, aujourd’hui, ça n’existe pas!»