FranceDupond-Moretti et Molins règlent leurs comptes
L’ex-haut magistrat François Molins a été auditionné jeudi au procès du ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti pour «prise illégale d’intérêt». Les deux hommes sont loin d’être amis.
Officiellement, personne n’est là «pour régler des comptes». Mais l’audition de François Molins au procès d’Éric Dupond-Moretti, jeudi, a tout de même été l’occasion pour l’ex-haut magistrat et le ministre de la Justice de se dire un certain nombre de choses.
Le témoin entre dans la salle d’audience le visage fermé, sans un regard pour le garde des Sceaux installé à une table dans le prétoire. «François Molins, 70 ans, retraité depuis le 1er juillet», énonce au pupitre l’ex-procureur général de la Cour de cassation. Il veut commencer par une mise au point, sur ses relations, «mauvaises», avec le ministre. «Je ne suis pas ici pour régler des comptes», dit-il, mais «j’ai particulièrement mal vécu les accusations dont j’ai fait l’objet pendant trois ans».
«On m’a accusé d’avoir voulu me venger parce que j’aurais voulu être ministre à la place des ministres», continue François Molins dans une colère contenue. «C’est faux», soutient-il sous le sourire narquois d’Éric Dupond-Moretti derrière lui. «À l’âge que j’ai, je suis trop attaché à mon indépendance.»
Dans ce dossier de «prise illégale d’intérêt» qui vaut au garde des Sceaux ce procès inédit devant la Cour de justice de la République (CJR), Éric Dupond-Moretti affirme que François Molins lui a conseillé d’ouvrir une enquête administrative contre trois magistrats du Parquet national financier (PNF)… avant de s’indigner du conflit d’intérêts quelques jours plus tard dans une tribune «scandaleuse» publiée dans le journal «Le Monde». Puis de lancer, quelques mois après, des poursuites contre lui.
L’affaire avait débuté en juin 2020, quand Éric Dupond-Moretti, encore avocat, avait fustigé des «méthodes barbouzardes» et le basculement dans «la République des juges» après avoir appris que des magistrats du PNF avaient fait éplucher ses factures détaillées en cherchant une «taupe» dans un dossier lié à l’ex-président Nicolas Sarkozy.
Savon et patate chaude
Face à l’«émoi» suscité, sa prédécesseure Nicole Belloubet avait demandé une «inspection de fonctionnement». Une fois devenu ministre, Éric Dupond-Moretti avait ordonné une enquête administrative contre les magistrats du PNF. Ce, notamment sur «conseil» de François Molins, soutient la défense d’Éric Dupond-Moretti. À la barre, son ex-directrice de cabinet avait raconté le coup de fil «amical» qu’elle avait passé à François Molins, pour savoir que faire de ce rapport d’inspection.
«Je lui dis: «Qu’est-ce que tu en penses?» Après lecture du rapport, «il me répond: «Franchement, une saisine du Conseil supérieur de la magistrature (ndlr: CSM, organe disciplinaire des magistrats), c’est prématuré, mais par contre je pense qu’il serait utile d’avoir une enquête administrative.»
«Ce que je dis à Mme Malbec», bouillonne François Molins, c’est qu’une saisine du CSM est «tout à fait inenvisageable», puisque l’«inspection de fonctionnement» ne pointe vers aucune faute individuelle. «Je dis que s’ils veulent aller au disciplinaire, ils doivent passer par une enquête administrative». Un simple rappel d’«une règle de droit», s’indigne celui qui pense qu’on a voulu «l’instrumentaliser» en lui refilant «la patate chaude» pour «protéger le ministre».
Fidèle à son habitude, le ministre commente dans le dos du témoin – «C’est ça», «Ah bon», «Mais oui…» – et multiplie les moues indignées. Mais il se tient finalement mieux que depuis l’ouverture du procès lundi, à la déception, peut-être, de la foule venue en nombre et en avance pour tenter d’avoir une place dans la salle d’audience.
À François Molins, la Cour demande pourquoi il ne met pas en garde le cabinet d’Éric Dupond-Moretti du possible conflit d’intérêts. «Tout le monde le connaissait!» s’emporte l’ex-haut magistrat. Et lui n’est pas «conseiller du ministre, pas là pour pallier les déficiences de son cabinet». «Je ne suis pas mis en cause», répète-t-il plusieurs fois. «Le prévenu, c’est Éric Dupond-Moretti.»
Ce dernier demande la parole, prend la place du témoin à la barre. Toujours pas un regard échangé. «Depuis le début M. Molins m’a savonné la planche», déclare le ministre. Et, même à la retraite, «il continue, il critique, il ramène son tweet… je ne sais pas qui est le plus revanchard des deux».