MédecineGrâce à Darwin, trouver de nouveaux médicaments est plus facile
Des chercheurs de l’Université de Genève se sont fondés sur le principe de l’évolution pour découvrir rapidement les molécules les plus efficaces contre une maladie.
- par
- Michel Pralong
Comment fonctionne un médicament? Il agit sur la protéine cible impliquée dans une maladie et la désamorce. Comme le font les anticorps naturels dans notre organisme. Mais comment trouver la molécule qui aura le bon effet sur cette protéine? On utilise une technique pour passer au crible, et cela à haut débit, des molécules afin de déterminer laquelle fonctionnerait le mieux. Le criblage haut débit traditionnel est fait dans des plaques de 96 ou 384 puits, et chaque molécule est testée dans un puits unique. Très laborieuse, cette technologie doit être automatisée (avec un robot pour dispenser les liquides, manipuler les plaques, etc.).
Elle a été améliorée il y a quelques années en se basant sur l’ADN de ces molécules, qui simplifie leur identification. Mais des scientifiques de l’Université de Genève viennent de trouver encore mieux: une technique qui ne met qu’une à deux semaines à identifier la meilleure combinaison possible, technique inspirée de… Charles Darwin.
Le naturaliste britannique a en effet montré que l’évolution naturelle privilégiait les meilleurs individus tout en générant de la diversité pour mieux s’adapter au changement. Les chimistes de l’UNIGE ont fait pareil: «La biologie trouve toujours une solution à un problème, explique Nicolas Winssinger, professeur au Département de chimie organique de la Faculté des sciences de l’UNIGE et auteur de correspondance de l’étude publiée ce 6 décembre dans «Nature». C’est ce principe de l’évolution naturelle que nous avons mis en place pour les petites molécules.» Ils ont ainsi développé une technologie qui génère de la diversité en créant plus de 100 millions d’assemblages de molécules via leur ADN, qu’ils sélectionnent ensuite pour correspondre au mieux à une protéine particulière.
Identification comme pour les tests PCR
Concrètement, ici, le criblage se fait en immobilisant la protéine cible sur des petites billes de résine. «La collection de molécules (100 millions) est ajoutée et celles qui ont les meilleures affinités restent accrochées par leurs interactions avec la protéine cible. Étant donné que chaque molécule dans notre collection est étiquetée avec une séquence ADN et que l’ADN est facilement amplifiable (c’est ce qu’on appelle la réaction en chaîne par polymérase, soit PCR, la même technologie que pour détecter le SARS-CoV2 dans un test: une molécule d’ADN suffit), nous pouvons analyser les molécules retenues. Autrement dit, les molécules qui interagissent avec la protéine cible, ou molécules d’intérêts. Lorsqu’on commence avec des collections aussi large que 100 millions, il y aura beaucoup de «gagnants». Comment savoir quelle molécule est vraiment la meilleure? L’étiquette ADN nous permet aussi de réassembler le gagnant. Autrement dit, on peut amplifier le résultat d’une première sélection et réitérer la sélection une deuxième fois et ainsi de suite».
Tout cela se fait en une à deux semaines, contre des mois voire une année pour des criblages haut débit traditionnels. Les chercheurs genevois ont testé leur méthode avec la protéine PD-L1. Celle-ci empêche le système immunitaire d’attaquer les cellules cancéreuses en les faisant passer pour un élément du corps humain. «Grâce à notre méthodologie, nous avons identifié rapidement un assemblage qui cible spécifiquement et désamorce PD-L1, confirmant que cela fonctionne avec efficacité», se réjouit Nicolas Winssinger.
Reproductible dans tout laboratoire
En outre, cette technique est simple à reproduire dans n’importe quel laboratoire au monde et ne coûte que quelques milliers de francs, contre des millions pour le criblage à haut débit. «En exploitant les forces de l’évolution mises en exergue par Darwin, nous pouvons dorénavant améliorer nos assemblages de molécules et ouvrir un nouvel espace de combinaisons possibles qui n’a pas encore été exploité, afin de créer de nouveaux médicaments plus performants», conclut le chercheur genevois.