Kadebostany: «J’adore créer mais ça me bouffe pas mal la santé»

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InterviewKadebostany: «J’adore créer mais ça me bouffe pas mal la santé»

Le groupe imaginé par le Lausannois et son alter ego le président Kadebostan fascine toujours les foules. En témoigne son succès en tournée depuis la sortie du disque «Play This At My Funerals».

Laurent Flückiger
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Laurent Flückiger

Cela fait presque quinze ans que la République de Kadebostany a hissé son drapeau sur les scènes de Suisse et d’ailleurs. C’est un pays imaginé par le producteur lausannois Guillaume de Kadebostany, soit le président Kadebostan, avec toute une iconographie et un décorum, mais c’est surtout un groupe au succès indéniable dans toute l’Europe.

En juin, Kadebostany a sorti son 4e album, l’electro-pop «Play This At My Funerals», avec les voix pour la plupart cristallines de la Roumaine Valeria Stoica, la Grecque Vassilina, la Française Angie Robba, l’Italienne Serepocaiontas et le Turc Baris Demirel. La tournée, qui a débuté à Istanbul à guichets fermés devant 3000 personnes, arrive le samedi 30 septembre à Lausanne, aux Docks – sold out, là aussi – avant la Foire du Valais le 2 octobre et le Kaufleuten de Zurich le 4 octobre.

Nous retrouvons Guillaume chez lui, à l’étage d’une petite maison près du centre-ville de la capitale olympique. Il y a son studio, où il a tout composé et enregistré. Jusqu’à présent, l’artiste avait pour habitude d’enfiler son costume de président pour répondre aux journalistes.

Qui répond à cette interview? Guillaume Bozonnet ou le président Kadebostan?

C’est toujours le président, mais… Il faut savoir que je viens de la musique électronique, d’un milieu plutôt underground. J’étais totalement inconnu et je suis arrivé avec un concept assez fort que j’ai dû marteler durant des années. Le personnage m’a permis d’occuper le terrain. Petit à petit, j’ai pris de la bouteille et je crois que désormais les gens sont en attente de plus de profondeur.

Nous sommes dans votre home studio. Comment la composition de «Play This At My Funerals» s’y est-elle déroulée?

Pour moi, créer est un processus que j’adore mais qui me bouffe pas mal la santé. Matérialiser une vision peut être compliqué. Par contre, avec l’expérience, je sais mieux gérer les moments de doute. J’ai quand même plusieurs morceaux qui sont devenus des succès, et je me raccroche à ça.

Les différentes chanteuses sont venues sur place?

Oui, je ne bosse pas trop à distance, car sinon l’artiste m’envoie ce qu’elle pense que je vais aimer, sans me connaître. Je veux du contact, sentir la personne. Même si, à la base, je suis plutôt solitaire. Cet album est l’illustration de toutes ces rencontres.

Le casting est assez exotique…

Ma musique est exotique, elle n’a pas d’origine très définie. Quand je crée, je ne crée pas de la pop mais de la musique, qui est bonne ou mauvaise. Et comme je ne cherche pas à faire un style, elle est intemporelle, je pense. Je suis fier de tout ce qu’on a bâti avec le temps: je suis indépendant, j’ai le même manager lausannois depuis le début et il n’y a personne au-dessus de nous pour dire ce qu’il faut faire. C’est une stratégie à long terme.

«J’aime bien quand durant mes concerts les gens ne savent pas si c’est du sérieux ou non, si je suis mégalo ou non»

Guillaume Bozonnet alias Président Kadebostan

Ce disque, comme vous l’avez déjà décrit, apporte «un sentiment de pleurer avec le sourire». Mais encore?

J’ai l’obsession d’écrire de la musique mélancolique mais qui donne quand même envie d’avancer. C’est mon leitmotiv. Et pour convaincre les gens de travailler avec moi, j’aime trouver une bonne accroche. Cette fois, c’est la playlist qui devra être jouée à mon enterrement. Je leur ai dit qu’on allait écrire des éloges funèbres sans jamais utiliser le mot «mort» et que ça donnerait de belles chansons d’amour.

Après le départ fin 2015 de la chanteuse Amina, devenue depuis Flèche Love, les voix de Kadebostany ont souvent changé. La formation du groupe est appelée à évoluer encore?

Oui. Depuis le premier album, mon idée est d’avoir un line-up variable. Ce matin, j’ai écrit un message à celles et ceux qui étaient avec moi sur scène à Istanbul pour les remercier et leur dire que le show idéal de Kadebostany que j’avais imaginé il y a dix ans était celui-ci. Il a fallu beaucoup d’inconscience et beaucoup de travail. Pour le concert à Lausanne, en plus de la formation de base, je fais venir Valeria Stoica, qui a chanté sur le dernier album.

Et pour la mise en scène?

Sans tout dévoiler, on joue beaucoup sur le pays. C’est la République de Kadebostany qui débarque à Lausanne. J’ai mon pupitre présidentiel, il y a les drapeaux, un lâcher de billets, tout le décorum. J’essaie d’amener une pointe d’humour, j’aime bien quand les gens ne savent pas si c’est sérieux ou non, si je suis mégalo ou non. Le but est de leur faire vivre une expérience qu’ils n’ont jamais eue.

La scène est essentielle pour vous?

C’est du concret, et ça fait du bien. C’est là que tu vois ce que tu vaux sur un marché. En tant que créatif, et surtout à la sortie de la période Covid, j’ai besoin de tangible. Le soir de la sortie de l’album, j’ai fait une dépression. On n’a pas fait de vernissage, alors que j’ai passé trois ans sur le disque. Pourquoi? Pour des likes sur les réseaux sociaux? Il me manquait le côté réel, j’y suis attaché. Autant j’aime le côté studio où je fais ma vie, autant j’ai besoin de voir des gens.

Vous avez d’autres projets à côté de Kadebostany?

Oui, quelque chose que j’ai toujours voulu faire: composer pour des films. Je viens de livrer la musique d’un documentaire pour Canal+ sur le trio d’artistes Obvious qui utilise l’IA comme outil de création. Le réalisateur ne m’a pas demandé de faire du Kadebostany, c’est une autre facette de moi et j’ai un agent à Paris qui gère ce côté de ma carrière. On peut penser que parce que je suis le président d’une république imaginaire et que j’ai l’habitude de gérer des équipes je ne suis pas capable de me mettre au service de quelqu’un d’autre. Mais j’ai adoré ça.

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