Note de lecture – Houellebecq: une dernière descente aux enfers

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Note de lectureHouellebecq: une dernière descente aux enfers

Dans son ultime roman, l’auteur culte parvient à anéantir son lecteur après plus de 700 pages, où il évoque une seule fois Eric Zemmour. «anéantir» est d’ailleurs le titre de cette histoire, où son héros avance vers un cruel destin d’une noirceur fatale.

Eric Felley
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Eric Felley
Michel Houellebecq ne fait pas dans la dentelle

Michel Houellebecq ne fait pas dans la dentelle

AFP

Dans son dernier roman, Michel Houellebecq parle une seule fois de la Suisse, lorsqu’il évoque «la Suisse normande». D’aucuns ont cru qu’il s’était trompé, qu’il voulait parler de la Suisse romande. Mais non, il s’agit bien d’une région en Normandie, ainsi nommée pour sa topographie vallonnée et bucolique. Avec l’auteur, on est bien dans une ambiance franco-française de bout en bout.

D’abord le titre «anéantir», qui aurait pu inspirer Samuel Beckett lui-même. C’est un verbe transitif direct qui appelle à réduire quelque chose à néant. Le terme apparaît ici et là, mais sur l’ensemble du livre, c’est bien le lecteur qui est menacé d’être anéanti par cette histoire! «La vie humaine est constituée d’une succession de difficultés administratives et techniques, écrit-il, entrecoupée par des problèmes médicaux, l’âge venant les aspects médicaux prennent le dessus…» C’est là un des thèmes de l’ouvrage.

L’élection présidentielle 2027

L’histoire se passe en 2027 en France à l’approche d’une nouvelle élection présidentielle. On comprend que «le président», qui n’est jamais nommé, a été réélu pour cinq ans. Comme la fonction est limitée à deux mandats, ses proches trouvent un candidat pour faire les cinq ans, en attendant que «le président», Emmanuel Macron, revienne ensuite. Comme Poutine l’avait fait avec Medvedev entre 2008 et 2012. Bruno, son ministre de l’Économie pourrait faire l’affaire, mais finalement c’est un autre qui est choisi, plus médiatique.

Dans «anéantir», on suit le proche collaborateur de Bruno, Paul Raison. C’est à travers ce personnage, le héros malgré lui, que l’on vit les mois qui précèdent l’élection. Mais le père de Paul, Edouard, fait un AVC, tombe dans le coma et reste paralysé. La famille se réunit à son chevet, ce qui permet à l’auteur de développer un spectre de personnages et d’observations. La sœur de Paul, Cécile est femme au foyer et catholique fervente, tandis que son mari Hervé est notaire au chômage. Le jeune frère de Paul, Aurélien, fait de la restauration d’art, sa femme Indy est journaliste. La mère de Paul, décédée brusquement des années auparavant, faisait de la sculpture.

L’explosion d’une banque de sperme au Danemark

Tous ces personnages ouvrent de vastes champs d’investigation à la sagacité et l’ironie houellebecquiennes. De par la maladie du père, et d’autres, Houellebecq aborde la question de la fin de vie qui fait débat en France. Edouard Raison a aussi travaillé pour les services de renseignement. Et ça tombe bien, car il va contribuer à résoudre une énigme. Cette année-là, des inconnus (des terroristes supermalins) envoient des vidéos hyperréalistes où Bruno se fait décapiter, ou ils coupent en deux un porte-conteneurs chinois ou font sauter une banque de sperme au Danemark.

Le suspense s’articule autour de multiples trames: l’évolution de l’état de santé du père, les préparatifs de la campagne, les relations de Paul avec sa femme Prudence, celles d’Aurélien qui veut divorcer d’Indy et enfin l’enquête sur les événements terroristes qui mobilisent les services secrets. Le récit avance comme un rouleau compresseur et parfois la densité des pages et des digressions file le vertige.

Une fellation de trois heures

Michel Houellebecq est en pleine forme et développe de nouveaux épisodes surprenants, dont une gâterie faite à notre héros par… on ne dira pas qui. Il semble que la seule chose qui ait un sens sur cette terre soit finalement le temps d’une fellation. D’ailleurs le livre, sur la fin, en contient une qui dure trois heures. On se dit alors que l’auteur reste un putain de baratineur, lol. Son ton amusé, désabusé, désespéré ou décapant, avec des pointes de vulgarité ci et là, est fidèle la marque de fabrique de son œuvre.

Zemmour, ce «gros B…»

Tous les personnages portent des noms très français dans un monde quasi exclusivement français. On ne peut s’empêcher de voir un clin d’œil à Eric Zemmour, dont il est question une seule fois dans tout le livre lors d’une discussion. Le fils d’Aurélien et Indy, l’ado Godefroy, lève enfin la tête de son smartphone pour dire: «C’est un gros bâtard», ajoutant une minute plus tard «un gros bâtard de sa race».

On s’amuse beaucoup dans ce long roman. Durant les 400 premières pages, on peut parler d’une lecture par beau temps… Mais, autour de la 500e page, sans vouloir spolier, l’affaire se gâte méchamment. À partir de là, ça rigole beaucoup moins pour tout le monde et pour le lecteur aussi. Michel Houellebecq a concocté une fin assez atroce où la souffrance vous prend à la gorge, c’est le cas de le dire.

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